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Horizons et oraison d'un lecteur

28 mai 2016

L'émigration en Dieu

En examinant ce livre sur la "thérapeutique des maladies spirituelles" tout à fait remarquable par l'examen des sources les plus recommandables, j'ai appris des mots amusants tirés du lexique orthodoxe : "gastrimargie", "cenodoxie", "philargie", "porneia", "orge", "lupe", "uperephania". Plus sérieusement il montre à travers une analyse serrée des maux qui nous accablent, se renforcent les uns les autres sur la base de la "philautie" et détruisent notre santé tant psychique, spirituelle et physique tant que le seul remède possible et le baume ultime n'est pas appliqué.
 
Pour autant, la fameuse "charité" chrétienne (dont le sens n'a absolument rien d'immédiat et ne consiste pas juste à visiter physiquement son frère malade) ne représente en aucun cas un début de la vie spirituelle, mais constitue déjà un sommet, un pic et une apogée.
 
En effet, le "sacrement du frère" représente un aboutissement et un accomplissement qui prélude à la vision, à la connaissance et au partage de la Béatitude trinitaire. Elle résulte de la réalisation de l'"impassibilité" dont elle représente le corollaire dynamique quand une bonne part des passions ont été purifiées au cours d'un entraînement ascétique.
 
Car seule la "croix" réelle (le déplacement de nos énergies physiques et subtiles ramenées dans le "lieu" du coeur où les natures parfaites et imparfaites se conjuguent spontanément, où le fini et l'infini s'entrecroisent mystérieusement), le fait de supporter simultanément le chaos et le tourment des passions et leur libération plus ou moins progressive en une vie unique permet de goûter aux saveurs sublimes de l'oraison.
 
C'est le "lieu" où toutes les convictions et les doutes s'effondrent pour laisser place à une autre réalité. Le "ciel" de l'âme se définit pratiquement comme "l'impassibilité" (le fait de supporter tout ce qui s'élève dans la conscience et dans le monde sans sourciller et sans vaciller, tout en ressentant très fortement chaque émergence pour ce qu'elle est, une singularité unique et absolue qui ne se répètera jamais) alliée la charité qui en découle naturellement. 
 
"Voila le chemin de l'oraison: il va des larmes à la pénitence par la pratique de toutes les vertus par le renoncement à tout par l'abnégation totale de soi-même par la douceur surtout et la charité fraternell

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à travers des purifications progressives d'âme et d'intelligence dans l'abandon absolu à la volonté de Dieu toujours occupée à nous conduire au but malgré les persécutions diaboliques à vaincre par la patience évitant les illusions par l'humilité à la paix et au repos ineffable de la contemplation de Dieu. C'est une émigration en Dieu
 
Mais arrivé au terme de l'ultime désirable, le contemplatif retrouve en Dieu par la gnose, d'une manière surréminente et spirituelle ce que pour la gnose il avait quitté
 
Il est séparé de tout et uni à tout Impassible et d'une sensibilité souveraine. Déifié il s'estime la balayure du monde Par dessus tout il est heureux
divinement heureux, tellement heureux que son bonheur même lui devient la plus ferme assurance d'avoir atteint l'état convoité les cimes intellectuelles où resplendit au temps de la prière la divine Lumière de la suprême béatitude".
 
( Evragre le Pontique: De oratione)
 
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17 janvier 2016

Mon Adam de lait et ma côte d’Eve

Je me trouve assez semblable à Adam dans l’enceinte d’Eden en ce moment, à l’innocence près... Je partage avec lui le sentiment d’ être assez confortable au milieu de nouvelle création organistique et d’un petit monde de claviers vivants chaperonné par une présence invisible et angélique qui veille.
Hier, je suis retourné dans le domaine fabuleux http://www.fauvin.com/ où les pianos ne sont plus orphelins (Gérard en recueille et les sauve de la casse). Ils s’étalent à perte de vue au milieu des marmousets, des enfants joyeux qui babillent au milieu de jeunes filles virginales attrayantes, des adolescents vigoureux à l’épinette fleurie profitant des avantages de la jeunesse accompagnés par des hommes mûrs et des femmes fidèles enveloppées par des vieillards qui ont conquis l’ éternelle sagesse en traversant indemne les âges et les épreuves de la vie.

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Pendant qu’un contrat qui avait duré un an pour l’achat d’un noble Steinway était conclu à l’étage dans le bureau après une longue période d’hésitation et d’acclimatation pour les heureux propriétaires, je batifolais et papillonnais tranquillement de clavier en clavier en butinant quelques croches, sans botter en touche. J’ai même été invité à jouer un passage de sonate pour mettre en valeur l’instrument tant désiré.
Après un pincement de clavicorde car j’ai du rendre la boîte magique http://orgueetclaviers.canalblog.com/... (mais j’ai fait plein de petits enregistrements, ce qui est bien c’est que les pins peuvent être intégré à la musique ainsi que la fausseté de l’accord ça donne un genre rustique et archaïque; c’est étonnant que les pédagogues modernes n’aient pas vu quel parti en tirer pour les pauvres élèves incapables d’atteindre une inaccessible perfection...), je ne savais plus où donner de la tête. Par surcroît, le maître du domaine m’a proposé de me prêter à nouveau l’instrument de rêve quand je voulais. Je n’ai qu’à lever le petit doigt. Que demande le peuple ?
Et bien, malgré toutes ces satisfactions nouvelles pour moi le sentiment de solitude magnifiquement exprimé dans le texte de la Genèse et explicité non moins admirablement par Jean-Paul II dans son exégèse du texte est beaucoup plus puissant que ces plaisirs. http://www.theologieducorps.fr/tdc/...
Parce qu’” il n’est pas bon que l’homme soit seul” (“homme” au sens générique qui définit l’homme en tant que type et espèce particulière et non tel homme particulier ou l’homme sexuellement différencié) et tous les claviers du monde assemblés ne forment toujours pas un visage humain. http://www.theologieducorps.fr/tdc/...
A partir de cette implacable constatation et de cette terrible solitude assumée par Adam, Dieu décide de lui “donner une compagne” et auxiliaire afin de l’aider dans sa tâche (élever tout la création pour la porter à sa plénitude et son achèvement). http://www.theologieducorps.fr/tdc/...
Dieu est grand prince, car il sait ce que c’est que la solitude pour l’avoir éprouvée. Lui-même, tout Dieu qu’il soit, a décidé de créer le monde pour entrer en communication avec autre que lui et ne pas rester parfait (mais seul). Il a donc créé l’homme avec l’univers à partir de rien d’autre que sa propre substance qui s’est proprement “déchirée” et ouverte.
En renonçant à sa toute-puissance (par la “kénose”, “abaissement” et “humiliation” volontaire), il a exprimé la liberté fondamentale de sa nature et la possibilité donnée ultérieurement aux créatures pour exprimer les Noms divins correspondant. Il plonge donc Adam dans une sorte de torpeur mystique (une claire-lumière de médiation qualifiée). A son réveil celui-ci a la stupeur et la joie de se retrouver non plus seul mais avec une compagne pour accompagner sa vie tirée de sa “côte”. Eve est sa “faculté volitive intellectuelle” (Fabre d’Olivet) en plus d’une ravissante créature qui fait passer ce qui est en puissance en acte.
Je vis Adam près d'une colline, allongé près de l'eau sous un arbre, le bras gauche replié sous la joue Dieu fit tomber le sommeil sur lui et, souriant très doucement, Adam fut ravi en extase.
Alors Dieu tira Eve du côté droit d'Adam, à l'en droit où Jésus fut plus tard percé par la lance Je vis Eve fine et petite elle devint rapidement plus grande, jusqu'à atteindre sa taille définitive et être parfaitement belle. Sans le péché originel, tous les hommes seraient ainsi nés au cours d'un doux sommeil. La colline se fendit en deux et je vis apparaître, du côté d'Adam, un roc comme composé de cristaux de pierres précieuses, et du côté d'Eve une vallée toute blanche, comme recouverte de petits fruits blancs et fins comme du froment.
Lorsqu'Eve eut été formée, je vis que Dieu donnait ou plutôt répandait, quelque chose sur Adam. C'était comme si, du front, de la bouche, de la poitrine et des mains de Dieu, qui apparaissait sous figure humaine, s'écoulaient des flots de lumière qui se réunissaient en un globe éclatant : ce globe entra dans le côté droit d'Adam, d'où Eve avait été tirée. Adam seul reçut ceci : c'était le germe de la bénédiction de Dieu. Dans cette bénédiction était une trinité.
La bénédiction qu'Abraham reçut de l'ange était identique, apparaissant sous la même forme, mais pas aussi lumineuse.
Eve se tenait radieuse devant Adam, et Adam lui tendit la main. Ils étaient comme deux enfants, indiciblement beaux et nobles. Ils étaient tout brillants, revêtus de rayons comme d'une gaze. Je voyais un large flot de lumière sortir de la bouche d'Adam, et sur son front comme une auréole de majesté. Autour de sa bouche hait un soleil de rayons, qu'il n'y avait pas chez Eve.
Je vis leur coeur, exactement comme celui des hommes maintenant, mais des rayons enveloppaient leurs poitrines, et au milieu du coeur de chacun je voyais une auréole brillante, dans laquelle se tenait une petite figure qui semblait serrer quelque chose dans la main je pense que cela représentait la troisième Personne de la Divinité.
De leurs mains et de leurs pieds aussi je vis jaillir des rayons lumineux. Leurs cheveux retombaient de la tête en cinq mèches lumineuses, deux à partir des tempes, deux derrière les oreilles et une de l'arrière de la tête [...]
J'ai vu les mèches lumineuses, rayons sur la tête d'Adam, comme sa plénitude, son auréole, l'achèvement des autres rayonnements et cette auréole retrouve sa place sur les âmes et les corps glorieux. Nos cheveux sont cette gloire déchue, éteinte, obscurcie, et la comparaison entre notre chair actuelle et celle d'Adam avant la chute est du même ordre que celle de nos cheveux avec les rayons qui couronnaient Adam.
Adam tendit la main à Eve ils quittèrent le lieu de la création d'Eve pour se promener dans le Paradis, contemplant tout avec bonheur. Ce lieu de la création d'Eve était le plus élevé du Paradis, tout y était splendeur et lumière, plus que partout ailleurs." (extrait des visions extraordinaires d’ Anne-Catherine Emmerick) http://livres-mystiques.com/partieT...
N’est-ce pas merveilleux ? En tous cas se laisser porter par cette description (sans se poser la question absurde de la “véracité” objective) fait vibrer.
A partir de là, Jean-Paul II développe une très belle “théologie de la chair” et dévoile les arcanes et fondements du mariage chrétien. http://www.theologieducorps.fr/tdc/... Cela me rappelle quand j’avais tenté de faire lire un ouvrage édifiant à la prunelle de mon âme (mon “ex” dans une vie antérieure) un hymne d’Evdokimov consacré aux vertus et aux grâces du mariage. http://www.pagesorthodoxes.net/mari....
Elle avait bien rigolé en suspectant l’imposture grâce à son oeil de sphinx et un flair de limier lors d’une promenade en amoureux sur les quais de Paris à contempler les mouettes.
Elle m’avait trouvé “bien ambitieux” (pour ne pas dire complètement fou à côté de la plaque). A force de lire des ouvrages décrivant un monde éthéré et parfait mais totalement déconnecté de la réalité, on devient bizarre. Elle avait raison mais elle ne proposait rien à la place. Et comme le néant assumé n’est pas un substitut à l’idéal désincarné, l’affaire entre nous s’est soldée par un contrat blanc et les sentiments se sont éteints peu à peu dans l’abîme.
Jean-Paul II nous assène qu’il n’y a que deux vocations pour l’homme. Schématiquement soit tu deviens une vierge consacrée soit tu profites des délices et des joies du mariage chrétien à la lumière du Christ qui implique fidélité et “indissolubilité” du lien contracté en toute conscience. Comme la nature de ce lien permet de retrouver sa propre nature et de revivre l’alliance du Créateur avec sa créature créée à son image, on ne blague pas avec ce genre de choses comme mes logeurs très chrétiens ne se lassent pas de me le répéter. http://www.theologieducorps.fr/tdc/...
Mais moi ça me fait une belle jambe toutes ces belles paroles en tant que célibataire et griot errant. Car le seul petit “hic” que j’ai constaté lors de mes pérégrinations ici et là (et qui concerne quand même 99 pour cent des cas à mon avis), c’est si on ne sent ni l’âme d’une vierge consacrée (ce qui est mon cas) et qu’on ne rencontre pas non plus d’Eve tirée de sa côté aussi aisément que ça, on est dans de fichus draps et on doit faire avec son état minable et misérable d’être esseulé.
Je n’ai pas vu l’ombre d’Eve pas plus en me promenant dans la rue au milieu de fantômes et de corps se mouvant étrangement apparemment sans pilotes, en décochant des flèches au hasard sur la toile tel un Cupidon échoué, en envoyant des messages à la mer dans des bouteilles percées, qu’en sortant tout embué du sommeil. Là, j’entends juste la mélodie paradisiaque de ma fille qui vient geindre pour me tirer du lit et prendre son petit déjeuner comme un rituel.
En vérité, abandonner l’adam de lait et donner sa côté au lever du jour relève d’abord et avant tout d’un acte d’imagination créatrice et non pas de la rencontre d’une personne physique hypothétique. Etant donnée la liberté fondamentale des êtres, cela revient à faire dépendre son bonheur d’un tirage au sort.
Et si le bonheur devait dépendre de ça, alors quasiment toute l’humanité serait vouée au malheur, car dans les faits la vie de couple ressemble très peu au beau tableau théorétique et idyllique présenté dans ce tableau de la création. Est-ce que c’est cette triste réalité dépeinte avec justesse par beaucoup d’athées que Dieu a voulu pour les hommes ?
J’ai entendu en songe qu’il a murmuré de ses lèvres tout à fait autre chose en donnant son baiser et en entonnant un chant d’espoir :
Eve é-lève-toi sur les ailes du désir jusqu’à Moi ! ce qui signifie d’abord une ascension portée par sa propre faculté imaginative avant de pouvoir se manifester dans la sphère sensible et exprimer la “sponsalité” du corps.
24 décembre 2015

Méditation inspirée par Duns Scot le « Docteur subtil » sur la nature de l’hypostase et « l’ens infinitum »

Introduction : pauvreté des esprits présents en regard des anciens visionnaires
G.W.F Hegel, Leçons sur l’Histoire de la Philosophie, p.1087-1089.
« Duns Scot, Doctor subtilis, un Franciscain né à Dunston dans le comté de Nothumberland, dont les auditeurs atteignirent peu à peu le nombre de trente mille. Il vint à Paris en 1304 et à Cologne en 1308, en qualité de docteur de la nouvelle université de cette ville. Il y fut reçu avec une grande solennité, mais il mourut peu de temps après son arriv

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ée d’un coup de sang ; il aurait été enterré vivant. Il n’aurait été âgé que de trente quatre-ans, selon d’autre de quarante-trois ou encore de soixante trois ; on ne connaît pas l’année de sa naissance. Il écrivit des commentaires du Magister sententiarum, qui lui firent acquérir la gloire d’un penseur très pénétrant : il procède par ordre, en commençant par démontrer la nécessité d’une révélation surnaturelle opposée à la lumière de la raison. Il ajoute à chaque sentence un grand nombre de distinctiones, de questiones, de problemata, desolutiones, d’argumenta pro et contra. Sa pénétration l’a fait nommer le Deus inter philosophos. Les louanges dont il fut l’objet sont tout à fait prodigieuses. On disait de lui : « Il a donné un tel développement à la philosophie qu’il aurait pu en être lui-même l’inventeur s’il ne l’avait pas déjà trouvé existante ; il savait tellement les mystères de la foi qu’il ne les a presque pas crus ; il savait les secrets de la Providence comme s’il les avait entièrement pénétrés, et les propriétés des anges comme s’il avait été lui-même un ange ; il écrivit tant de choses en peu d’années qu’un seul homme arriverait à peine à les lire, et qu’on trouverait difficilement quelqu’un pour les comprendre ».
Préambule
En spiritualité et dans la pratique de l’oraison il faut parvenir à concilier deux opérations propres à la « créature » et à « Dieu », dans le « domaine » rattaché traditionnellement à l’univers de l’ « être créé » (qui ne possède pas l’être par lui-même) par opposition à l’« être incréé » (qui possède l’être nécessairement par lui même du fait qu’il est l’être même non tiré d’autre chose d’un « aliud »). Dans « les métaphysiques principales », Claude Tresmontant explique très bien les relations entre la cause première absolue et l’univers relatif et contingent mais finalisé.
Dieu émane sans arrêt des qualités (désignée par l’activité infinie de son « Verbe ») que l’homme peut difficilement recevoir même s’il a été conçu à cette fin. En effet, la créature doit d’abord chercher à se « réparer » à restaurer le « réceptacle » (son corps subtil) qui a été brisé depuis la « chute » d’Adam et ne permet plus de recevoir les lumières émanées spontanément présentes pour les refléter vers autrui et la nature. La kabbale explique très bien le processus.
Il y a donc une ambivalence entre le domaine pur et parfait de l’être incréé et celui de l’être créé auquel nous appartenons de fait. Toute la question consiste à trouver une intersection, un point de jonction entre ces deux réalités hétérogènes au départ.
En effet, il y a plusieurs forces et puissances qui oeuvrent en Dieu même. La première est expansive et émane sans arrêt de la lumière, irradie des champs purs et des fontaines de félicité. Elle pose un « oui » absolu qui englobe Dieu et ses anges sans connaître l’altérité et la rencontre avec un contraire.
La seconde doit en quelque sorte poser simultanément un « oui » et un « non » pour qu’une altérité, des créatures différentes et libres ainsi qu’un univers ayant sa propre consistance surgisse de l’Etre des êtres.
Entre ces deux puissances se livre une sorte de combat et de bataille éternelle, un heurt, une étincelle, une friction d’angoisse (toute la théosophie de Jacob Boehme décrypte cette arcane). La contradiction ne se résout que dans la figure archétypale du Christ en qui les deux natures émanées et créées sont réunies pour inventer un nouveau terme inconnu, d’où le dogme de l’incarnation.
Lorsqu’elles parviennent enfin à se réunir en l’homme au terme d’une évolution, on parle d’ « union à Dieu », car les deux natures créées et émanées travaillent en synergie et deviennent conjointes comme elles le sont par nature dans la personne du Christ qui est appelé logiquement l’ « alpha et l’omega » de la nature créée.
Auparavant ces deux natures vivent chacun leur vie propre et ne communiquent pour ainsi dire pas (la première est totalement cachée c’est la vie du « deus absconditus » et la seconde est totalement obscurcie) mais grâce à la purification par le feu et la lumière (qui mène à la « sainteté ») elles deviennent coopérantes.
1/ La croix et « l’ens infinatum »
1.1/ Communauté et pauvreté de l’ens
Duns Scot montre dans le langage aujourd’hui incompréhensible de l’ancienne scolastique (les esprits modernes ont rompu avec ce genre d’expression et ne « voient » plus les êtres désignés par les termes abstraits, si bien qu’ils postulent un discours logique et métaphysique là où il y a le compte-rendu de faits matériels, vitaux, intellectuels et spirituels conformément à la méthode traditionnelle d’examen des facultés et de leurs objets) que ces deux opérations sont le propre de l’ « ens infinitatum » qui peut comporter divers degrés d’ « ens » ou d « infinitas », de la quasi absence d’ « infinitas » dans le cas de l’homme pécheur jusqu’à une saturation complète pour le Christ glorifié qui est le terme de la création et le premier voulu.
Ce terme ne peut se comprendre qu’avec son arrière plan théologique (sinon on n’en demeure au niveau des abstractions philosophiques ; on raconte alors plus ou moins n’importe quoi pour « interpréter » à la place de découvrir les référent réels du discours ce qui est normal car il faut combler le vide de sens ; or les référents du discours sont des « objets cachés » non apparents au premier abord mais en aucun cas des fictions logiques ; ils ne se dévoilent qu’au terme de l’oraison et de la méditation bien conduite qui repose sur une conception adéquate de l’Etre des êtres et de ses enfants les « étants » à la lumière de l’être qui n’existe qu’à la mesure de ce qu’il éclaire et non en soi).
Que le discours porte sur Dieu (l’objet propre de la théologie) ou sur l’esprit humain, il relate des « intentions secondes » à travers des mots et des usages car les mots n’expriment jamais directement la chose.
Mais quand il est objectif il atteint et désigne bel et bien l’objet réel des « intentions premières » visées par tout discours qui prétend à la vérité, l’être sous sa forme « minimum », dépouillé et dépourvu de tout attribut particulier commun à l’être créé comme à l’être incréé, à l’être émané spontanément comme à l’être produit : l’ « ens » .
Cet « ens » n’est pas un « néant » si proche du rien qu’on peut gloser et disserter à l’infini sur ce quelque chose qui est presque « en trop » et « en excès » et se convertit en son contraire de façon mystérieuse, mais désigne la pauvreté et la misère de notre condition humaine bien concrète et constatable au quotidien. C’est l’image et le reflet lettré de la croix. En lui même, l’homme est un désert et un néant (ce qui est le sens de « tohu-bohu » dans la Bible au moment de la création) tant qu’il n’a pas été « assumé » par la lumière de l’être. C’est un vase, (un réceptacle, une amphore romaine ou tout contentant qui demande à être rempli) en attente d’un « quelque chose » ou plutôt d’un quelqu’un.
L’homme est un être pauvre privé d’essence et caractérisé par une radicale vacuité : son « esse » comme son « exister » sont caractérisé par une pauvreté inhérente à laquelle est indexée le concept minimal d’être « ens » vidé de ces attributs.
L’élaboration logique du concept est magistralement mené par François Loiret dans son article « l’étant et l’infini » comme dans ses autres recensions magistrales du Docteur Subtil. Mais il ne donne jamais l’usage qu’on peut faire de ces conceptions fines et acérées.
1.2/ L’objet à peine caché de l’ens
Pourtant, pas besoin d’être grand clerc ni un saint pour estimer et comprendre que l’ « ens » qui n’est en lui-même ni fini ni infini (on peut lui prédiquer ces deux attributs puisque c’est le minimum commun tant à l’être créé qu’à l’être incréé ce qu’on appelle en termes savants « doctrine de l’univocité de l’être » par opposition à la doctrine de l’analogie de l’être) peut désigner à la fois la créature non régénérée par la grâce (l’homme privé de Dieu sous l’influence du péché qui existe sous un mode fini) et Dieu lui-même en tant que son essence positive est l’infinité conçue comme ce qui est toujours « plus grand, plus large, plus vaste et plus intense que » et non comme tel ou tel attribut de beauté de majesté ou d’éternité.
L « ens infinitum » désigne de fait en termes philosophiques Dieu fait homme en tant qu’il s’est fait le plus petit, le plus faible et le plus démuni en se dépouillant de tous ses attributs, tout en conservant ce qui fait son essence : son infinité (ce qu’on appelle « kénose » en jargon théologique).
C’est pourquoi l’église dit qu’il a le plus intensément souffert de toute la création et qu’en limite asymptotique à notre réflexion il a pris « tous les péchés du monde » (ce qui est rigoureusement impossible en toute logique mais concevable en tant qu’ « image qui soulève les montagnes » dans la méditation et la prière).
Donc seule la référence à l’évangile et à l’homme Jésus permet de donner un sens au discours avant d’en trouver l’application pratique dans l’oraison.
« La formation du concept d’infini comme concept propre et parfait de Dieu, concept dans lequel l’infinité est conçue comme le propre de Dieu, exige un appauvrissement du concept d’étant. Ce qui nous est donné à penser dans le concept d’étant, c’est une pauvreté initiale et non la profusion du divers. Ce concept ne peut être un concept commun à Dieu et aux créatures qu’en étant le concept le plus pauvre. L’indifférence, l’indétermination et la neutralité de ce concept en sont les marques.
Pour que le concept d’étant infini soit le concept propre de Dieu, il faut que le concept d’étant soit indifférent au fini et à l’infini, et du même coup neutre. Le concept commun d’étant, dit Duns Scot, « n’est pas de soi infini, car s’il était infini, il ne serait pas de soi commun au fini et à l’infini ; et il n’est pas de soi positivement fini, de sorte qu’il inclue de soi la finité, car dans ce cas il ne conviendrait pas à l’infini, - mais il est de soi indifférent au fini et à l’infini » (Ordinatio I d.8 p.1 q.3, p.255).
Ni infini, ni positivement fini, le concept commun d’étant est négativement fini. Cette finité du concept est indissociable de son imperfection. Le concept commun d’étant est un concept imparfait dans lequel autant l’étant fini que l’étant infini sont conçus imparfaitement. Toutefois, l’imperfection du concept n’est pas significative de l’imperfection de la chose à laquelle se rapporte ce concept. La finité négative n’est pas celle de la chose signifiée par le concept, mais celle du concept : elle est relative à l’intellect qui le forme, dans les conditions de l’état présent où il le forme.
Indéterminé, indifférent, neutre, le concept commun d’étant se présente comme un concept vide comme l’indique Honnefelder : « Der in seiner Erkennbarkeit nachgewiesene transzendentale Begriff "Seiendes" bleibt in seiner positiven Bedeutung leer. Denn alles, so zeigt die Analyse, wird als "Seiendes" erfasst, "Seiendes" selbst kann aber als ein erster schlechthin einfacher Gehalt nicht noch einmal als etwas erkannt und definiert werden » (Wie ist Metaphysik möglich ? Ansatz und Methode der Metaphysik bei Johannes Duns Scotus, in In Via Scoti, Vol. I, p.88). Dans la distinction 2, Duns Scot affirme en effet que « l’étant n’est expliqué par rien de plus connu » (Ordinatio I d.2, p.1, q.1-2, 132, T II, p.207 : « Ens per nihil notius explicatur »). Le concept d’étant peut ainsi se présenter comme le premier concept dans l’ordre de la connaissance, mais à condition d’être en même temps le concept le plus vide, le plus pauvre, ce que manifeste l’impossibilité même de sa définition.
Le concept métaphysique d’étant est, certes, un concept imparfait de la chose, néanmoins, précise Duns Scot, il est plus parfait que le concept de n’importe quelle créature « car il s’abstrait de la limitation, et ainsi il est concevable sous l’infinité » (idem 51. p.306). L’indétermination du concept d’étant est indissociable de son abstraction par laquelle toute limitation est congédiée : elle est ouverture à l’infinité. En formant le concept métaphysique univoque d’étant, Duns Scot ne s’installe pas d’emblée dans du donné, du bien connu, la profusion du fini. Nous assistons, au contraire, au congédiement du donné. Fini et infini ne sont pas posés au départ comme des points fixes mais sont engendrés. Il n’y a pas une installation préalable dans le fini, à partir de laquelle il s’agirait de gagner l’infini, il y a bien plutôt une défection du fini par constitution d’une pauvreté initiale, défection telle que l’ouverture à l’infini actuel est déjà constituée dans et par l’illimitation du concept d’étant.
Tout cela montre que l’enjeu, pour Duns Scot, n’est pas la possibilité d’une métaphysique comme science, mais celui de l’effectivité de l’infini actuel. La question qui conduit Duns Scot à la formation du concept univoque d’étant n’est pas : quelle est la condition de possibilité de la connaissance ? mais : Comment ce Dieu tout puissant, qui est surabondance d’amour, est-il pensable métaphysiquement par nous ? Or puisque l’accomplissement de la vie ne se confond pas avec le Bios theoretikos, nous voyons que la formation du concept univoque d’étant ne saurait être envisagée techniquement comme un problème épistémologique ou métaphysique.
L’indétermination de l’étant correspond à différentes possibilités d’être. Ces possibilités d’être ne sont pas des possibilités logiques, mais des possibilités réelles : l’étant peut être aussi bien infini que fini. C’est à elles que renvoient la démonstration de l’existence de Dieu dans la distinction 2 de l’Ordinatio et dans le Traité du Premier Principe. Or il n’y a de possibilité réelle que dans la mesure où l’étant, avant sa différenciation en étant fini et en étant infini, en a la capacité. L’étant dans son indifférence, son indétermination, sa neutralité est aussi bien capable de l’infini que du fini, c’est-à-dire qu’il est en fait capable de tous les degrés de perfection. L’indétermination du concept métaphysique d’étant univoque ne présuppose pas une indétermination logique, mais l’indétermination d’une capacité d’être, comme le montre la distinction 8. La créature, y écrit Duns Scot, « est composée, non d’une chose positive et d’une chose positive, mais d’une chose positive et d’une privation ; d’une certaine étantité qu’elle a, et du défaut d’un certain degré de perfection dans l’étantité, - dont elle n’est pas capable, mais dont l’étant lui-même est capable » (Ordinatio I d.8, p.1, q.2, 32, p.214).
Avec l’étant neutre, indifférent, indéterminé, il n’en va pas d’un quasi rien, d’une condition de possibilité de la métaphysique, d’un fondement, il en va d’une capacité d’être ouverte à différentes possibilités réelles d’être. La privatio qui définit l’étant fini est privatio d’une possibilité d’être, de la plus haute même. Cette privatio ne caractérise pas l’étant en tant qu’étant, mais l’étant fini. Il en va de l’étant fini comme de la taupe qui « d’après soi, n’a pas pour nature de voir, mais a pour nature de voir d’après sa nature d’animal » (idem). La taupe est aveugle en ce qu’elle n’est pas capable de cette perfection, la vue, dont l’animal est capable ; elle n’est pas capable de cette puissance qu’est la vue. De même l’étant est fini en ce qu’il n’est pas capable de la plus haute et de la plus totale perfection dont l’étant lui-même est capable. La limite de la comparaison du concept d’étant et du concept d’animal tient cependant en ce qu’elle laisserait entendre que l’étant est un genre qui se différencierait en deux espèces, l’étant infini et l’étant fini. Dans ce cas, l’étant serait une partie d’un tout dont infini ou fini serait l’autre partie. Mais l’autodifférenciation de l’étant en étant infini et en étant fini n’est pas celle d’un genre comme l’établit Duns Scot dans la distinction 8. http://www.francoisloiret.com/#!L%C3%A9tant-et-linfini/c1q8z/555ad5680cf23d0164a5cbac
2/ De l’ens à l’hypostase
L’ esprit qui médite réellement l’« ens » par lui-même vide et neutre (un « presque » ou un « quasi » rien comme nous l’avons vu) et en même temps « infinitum » engendre en lui la notion d’ « hypostase » qui désigne le passage de l’essence (virtuelle) à l’existence (concrète).
Cela passe concrètement par une méditation dans l’espace du cœur sur un être doté de qualités (possédant l’ « infini ») qui aime un autre être qui n’en a quasiment aucune (juste l’ « ens ») sans autre raison que vouloir l’aimer. On voit donc que le moteur de l’amour repose paradoxalement sur la contingence de la volonté (qu’on traduit par « gratuité ») et non sur une nécessité naturelle ou même des qualités extra-ordinaires de la personne.
« Mais si nous imaginons un dieu qui aime une pauvre petit humaine, il ne l’aimera pas spécialement pour ses qualités. Des qualités, il en a à revendre, il n’attend rien d’elle, sinon qu’elle l’aime, afin qu’il puisse déverser ses lumières en elles. Bref, de son point de vue à lui, il aime une personne réduite à sa plus simple expression, qui est d’être une personne.
Quant à elle, elle est face à un être tellement mystérieux qu’elle n’a d’autre choix que de se raccrocher à la seule chose qu’elle puisse identifier en lui, la seule chose qu’ils aient finalement en commun : le fait qu’il soit une personne. Méditer sur cette double relation trace des lignes dans le corps subtil dont on découvre que leur croisement définit un point mathématique, qui se trouve être le centre du coeur.
L’endroit où ces deux êtres peuvent s’aimer, c’est ce point, qui contient en lui toutes les potentialités. Nous ne percevons donc plus le coeur comme une noix, un petit pois ou même une graine, mais comme le point mathématique correspondant à la pure notion de personne.
C’est pour cette raison qu’il est absolument fondamental de s’adresser à un Dieu personnel à notre niveau, afin d’identifier ce point en nous, qui est le point de jonction entre l’essence et l’existence. Dit autrement, c’est le point où les souffles peuvent se résorber dans l’essence, ce qui produit la claire lumière.
Tant que nous n’avons pas identifié précisément ce qu’est une personne, nous y voyons trouble en nous-mêmes, et nous ne pouvons pas viser au bon endroit. Une fois que la visée a été précisée, nous pouvons même nous contenter de nous concentrer sur le coeur avec cette pure notion de personne, sans pensée, sans images, ce que les pères orthodoxes appellent la prière pure.
C’est en méditant sur mon roman que j’ai réalisé clairement que les personnages attendaient les uns des autres ce qu’on attend de Dieu : d’être remplis. Non par l’amour reçu, mais par l’amour donné. Ce qu’ils veulent, c’est aimer l’autre comme s’il était Dieu. Pourquoi est-ce que je dis « Dieu » ? Parce que c’est un amour qui se veut infini par nature, absolu, et dont on attend qu’il soit notre tout. C’est ce qu’on attend de Dieu. Sauf qu’on l’attend d’une créature humaine.
Mais en réalité, ce n’est pas une erreur, car ainsi que je l’ai déjà expliqué, nous ne pouvons accéder à Dieu qu’à travers notre propre structure, qui est hypostatique, à savoir que l’infini de tous les Noms divins doit pouvoir passer à travers ce point mathématique de l’hypostase (la Personne). Alors, peut-être que Dieu le Père a une hypostase, mais nous n’en savons rien. En revanche, cette hypostase, nous la percevons naturellement chez notre prochain, c’est même la première chose qui nous est donnée ». http://science-mystique.fr/wordpres...
Cette méditation peut être « verticale » (un Etre quasi absolu aimant un quasi rien) ou « horizontale » (une créature aimant une autre créature et voulant se « vider » en elle.
« On dit que dans la prière pure, il ne reste ni concept ni image. Mais il en reste un : nous prions quelqu’un, et non pas quelque chose. Autrement dit, si nous pouvons aimer notre prochain en tant que quelqu’un et parce qu’il est quelqu’un, indépendamment de tous ses attributs (ce qui n’est pas si simple, attention), nous rejoignons la prière pure. (ibid)
Par exemple, en examinant la relation d’un être très vaste avec un être ordinaire comme nous, j’ai compris ce qu’était l’hypostase. La théologie dit que c’est le point de passage entre l’essence et l’existence. Je dirais pour ma part que c’est ce sur quoi nous nous concentrons lorsque nous aimons une « personne » indépendamment de toutes ses qualités, mais uniquement en ce qui fait qu’elle est une personne. Ce n’est pas très possible dans notre existence matérielle, où nous aimons toujours les gens pour leurs caractéristiques.
Il y a donc un double entraînement, qui consiste, au cours de nos activités, à nous imaginer en présence d’une personne divine, afin de réunir tout notre être autour de ce point, ce qui restructure tout le corps subtil. Et ensuite un entraînement plus précis, qui consiste à se concentrer spécifiquement sur ce point.
Si donc on veut s’imaginer en présence de Dieu au cours de la journée, il est fondamental de le concevoir en tant que personne, les qualités sont secondes et se manifesteront en fonction des événements. Mais cette notion de personne ne doit pas être floue, elle doit être très pointue, et profonde. http://science-mystique.fr/wordpress/?p=347
Dans les deux cas ces deux amours non pas concurrentiels mais complémentaires qui s’enrichissent l’un l’autre reposent sur un acte de volonté, celui d’aimer par vertu de justice et non par une simple inclination naturelle et appétitive.
Cela peut donner une nouvelle perspective à la kénose. Sur la Croix, le Christ se donne à voir en tant que quelqu’un dépouillé de tous ses Attributs, c’est la Personne à l’état pur, celle que nous avons le plus de chances de retrouver chez notre prochain, qui en est à peu près au même degré d’impuissance.
A l’inverse, cette considération pourrait nous faire nous demander si nous avons une conception correcte de la kénose : si, lorsque nous imaginons le Christ sur la Croix, nous ne continuons pas à l’imaginer avec tous ses attributs potentiels « Là, il ne peut rien, mais potentiellement, il est tout ».
Le cerveau ne fait pas trop la différence entre le potentiel et l’actuel, en tous cas pour moi, je sais que dans ce cas précis, la potentialité remplit tout. Ce qui est une erreur je pense. Il nous faudrait réellement arriver à considérer le Christ comme dépouillé de tout, de fait, actuellement.
C’est alors, je pense que nous pourrons bien plus facilement le reconnaître dans notre prochain, en vertu de ce qu’ils ont en commun, être quelqu’un. On peut donc réinterpréter le sens de la kénose : elle nous donne à voir la porte vers Dieu, resplendissante dans sa nudité, par retrait de tous les attributs.
Dieu s’est fait « rien » afin que nous puissions percevoir le point par lequel nous serons capables d’accéder à lui. C’est uniquement lorsque nous avons identifié cette porte que nous pouvons laisser les attributs emplir à nouveau notre conception de Dieu, parce que nous ne ferons plus la confusion entre l’essentiel et l’accessoire. Il nous faut aimer Dieu d’abord parce qu’il est quelqu’un, ensuite parce qu’il est ceci ou cela ». (Daniel Christophe)
Lorsque le point d’intersection où réside « l’ens infinitatum » a été trouvé et localisé précisément dans l’espace du cœur par une méditation sur la vie de Jésus, on peut se faire une idée générique du mystère de l’ « hypostase » et méditer en engendrant des « variables d’intensité » suivant la pénétration que nous avons du sentiment d’infini.
On peut le ressentir par toutes les énergies et Noms divins de Beauté et de Majesté, mais tout particulièrement par la souffrance qui nous est la chose la plus innée, la plus partagée et la plus accessible. C’est notre « ens » commun à tous petits et grands, riches et pauvres, mariés et célibataires, intelligents ou stupides, beaux ou moches, etc…
On comprend dès lors pourquoi le « docteur subtil a renversé la priorité donnée à l’essence comme telle et non sur tel ou tel attribut car sa finalité est pratique. C’est en méditant sur les « variables d’intensité » entre « l’ens » et l’ « infinitum » que nous pouvons comprendre la logique de l’incarnation et de la rédemption : le plus petit possède la marque intensive de l’infini actuel en tant qu’il est le plus pauvre et le « presque rien » et non en tant qu’il manifeste extensivement tous les attributs de puissance.
La meilleure façon de faire l’expérience de Dieu, c’est d’entrer en contact avec l’infini. Or la seule chose qui devient facilement infinie chez l’homme pécheur, c’est la souffrance et le désespoir d’être séparé de Dieu. C’est en creusant dans le sentiment de cette séparation qu’on atteint quelque chose de vraiment intolérable, qui nous dépasse totalement, mais si on le fait avec le bon état d’esprit, c’est-à-dire par amour, on y trouve Dieu. C’est pour moi ce qu’a montré le Christ sur la Croix. Ce que son exemple ne dit pas, en revanche, c’est que pour nous, l’expérience devient simultanée, suffisamment du moins pour qu’on accepte de creuser volontairement dans l’insupportable.
On dit souvent que le Christ a pris sur lui la colère du Père, mais il est dommage que la théologie chrétienne n’explicite pas mieux la chose (si vous avez une référence cependant, je suis preneur), qui est très claire pour les soufis. Les énergies divines ou noms divins se déparent en deux grandes catégories, noms de Beauté et noms de Majesté. Les Noms de Beauté sont liés à la croissance et à l’enrichissement (printemps été) tandis que les autres sont liés à la déréliction et destruction (automne hiver) – le lien avec les saisons n’est pas chez les soufis à ma connaissance, mais il est évident qu’il y a deux grandes forces qui commandent à l’univers, création/destruction, et que ceci se trouve dans le Père.
Il y a donc chez l’homme l’alternance de ces énergies, les noms de Beauté se manifestent dans les consolations, mais on n’apprend pas grand chose en étant consolé, alors nous devons surtout expérimenter ce qui nous fera grandir, la nuit obscure, et qui nous apparaît comme une souffrance insupportable, tant que nous n’y voyons pas clairement la main de Dieu. La colère de Dieu, c’est cette face destructrice (qui doit s’appliquer au vieil homme). Mère Teresa a écrit à plusieurs reprises : »Il détruit tout en moi ». Quand elle y reconnaît enfin la main de Dieu, l’expérience change de visage, et elle ne cherche plus à y échapper.
Nous avons toutes les occasions possibles de contempler l’infini de la souffrance, et si ce n’est la nôtre (ce à quoi nous ne sommes pas toujours disposés), celle des autres fait aussi l’affaire. Il est bien dommage que la pastorale actuelle insiste surtout sur les consolations qu’on peut recevoir de Dieu, en oubliant de dire que plus on veut être consolé, plus le chemin sera long.
En jargon philosophique nous aboutissons à la conclusion du caractère contingent de la création et des actes de Dieu même s’il possède l’être nécessaire dont la liberté se reflète dans la volonté humaine seule capable de ne pas agir par simple inclination naturelle et pouvoir choisir parmi deux contraires.
« La novation scotienne n’est ni dans l’affirmation que Dieu est infini en acte, ni dans l’établissement d’un concept affirmatif de l’infini, mais dans l’affirmation que Dieu est d’abord pour nous ens infinitum plus que ens summum ou qu’actus purus. C’est pourquoi Dieu est simple et un parce qu’il est infini ». http://www.francoisloiret.com/#!Aristote-et-Duns-Scot-sur-linfini/c1q8z/557039140cf219f17725288c
« Lorsque nous disons que Dieu est infini, soutient Damascène, nous n’énonçons pas un attribut divin parmi tant d’autres, nous envisageons la nature ou l’essence divine, non en ce qu’elle est, mais en ce qu’elle n’est pas. L’infinité a donc dans le De Fide Orthodoxa un tout autre rang que la bonté, la sagesse, la justice divine, un rang plus radical puisqu’elle est une manière négative d’énoncer l’essence divine elle-même. Le discours qui dit Dieu comme infini est le plus haut discours que nous puissions tenir sur Dieu envisagé dans sa nature même ». http://www.francoisloiret.com/#!Jean-de-Damas-un-des-points-de-d%C3%A9part-de-Duns-Scot/c1q8z/555d7eda0cf21fee13a58a13
Duns Scot explique dans l’Ordinatio que seul le concept univoque d’étant permet la formation d’un concept d’étant infini dans lequel l’infinité se présente tout à fait positivement. En effet, si l’étant était conçu analogiquement, toute la positivité reviendrait à l’étant et l’infini ne serait compris que négativement. Autrement dit, s’en tenir au concept analogique d’étant, c’est soutenir que c’est comme étant que Dieu est Dieu, alors qu’emprunter la voie de l’univocité, c’est montrer que ce n’est pas comme étant, mais comme infini en acte que Dieu est Dieu. C’est pourquoi il est absurde de prétendre que l’univocité du concept d’étant amène chez Duns Scot à un égalitarisme ontologique. L’analogie n’arrache pas Dieu à l’horizon de l’étant, puisque pour elle le positif est l’étant. C’est donc l’exigence de la formation de l’infini en acte qui commande l’exigence d’univocité, et non pas le contraire. http://www.francoisloiret.com/#!Linfiniment-aimable/c1q8z/555d801a0cf2adc1ad4aa65a
Le préambule à la preuve de l’existence d’un étant infini en acte exige la preuve que le premier étant comme première cause efficiente est à penser comme volonté et intellect, étant donné que s’il est une volonté, il est aussi un intellect :
« Ayant montré l’existence des propriétés relatives du premier étant, pour montrer ensuite l’infinité de ce premier et, par conséquent l’existence de l’étant infini, je procède de cette manière : je montre d’abord que le premier efficient pense et veut » Ordinatio I d.1, p.1, q.1-2, T II, p.174.
L’infinité en acte ne peut revenir au premier efficient qu’à la condition qu’il soit une volonté. S’il est une volonté, il est aussi un intellect alors que l’inverse ne vaut pas comme le montre la philosophie d’Aristote et des aristotéliciens qui pensent le premier étant comme intellect sans le penser comme volonté.
La preuve principale du caractère volontaire de l’action du premier étant part de la contingence. S’il y a de la contingence dans le monde, et il y en a, la première cause efficiente agit de manière contingente, et si elle agit de manière contingente, elle est une volonté. Contre les nécessitaristes, ceux qui nient l’existence de la contingence dans le monde et qui soutiennent que tout y est nécessaire, Duns Scot soutient que la contingence est indéniable. Il affirme brutalement :
« Que ceux qui nient que quelque étant soit contingent, soient exposés à la torture jusqu’à ce qu’ils concèdent qu’il leur est possible de ne pas être torturé » Ordinatio I d.39, q.1-5, 35, T XVII, p.489.
Le Docteur subtil doté d’un bon sens pratique ne manquait certes pas d’humour.
7 novembre 2015

Manifestation du corps glorieux (une vision du Père Lamy)

« Je touche souvent ses pieds, qui sont entre le calice et le canon, quand il est debout sur l'autel, pendant la messe ; je touche son côté, et je sens la plaie du côté et ses côtes à travers son manteau quand j'élève l'hostie. Je la pose et l'appuie contre son côté. »

« C'est à la messe, à Gray, que j'ai vu Notre-Seigneur couché dans l'autel, le 9 septembre (1909). La matière n'existe plus pour les corps glorieux : il s'est mis au ras de l'autel, soulevant le corporal et la sainte hostie (il montre, du geste, que le corps de Notre-Seigneur était dans l'autel, affleurant à la surface de la table). Il a dit : « Dans

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un an d'ici... » Je l'ai vu deux fois à Gray ; la première fois comme ça ; la seconde fois (9 septembre 1910), il était debout. La seconde fois, il m'a parlé. Notre-Seigneur, étant sur l'autel, écoutait ma prière. A La Courneuve, voyant que mes efforts étaient absolument vains et que, plus je travaillais, moins j'obtenais de résultats, je m'en plaignais à Notre-Seigneur. Tout était mal tourné de ce que je faisais. J'avais dans l'âme une douleur ! J'exprimai ma peine à Notre-Seigneur. En posant la sainte hostie contre sa poitrine, je lui disais : « C'est évidemment l'effet de mon indignité. Je vous demande, mon Dieu, de demander à votre très sainte Mère qu'Elle veuille bien vous dire ce que je vous dis. Vous êtes son Fils, et moi je suis aussi Son enfant. Vous ne sauriez résister à Sa prière ». Je sentais à travers son manteau la rondeur de ses côtes. J'ai senti aussi une vive chaleur qui m'a réconforté. Après la consécration, le diable était à la droite de l'autel ; il a dit sur un ton dédaigneux : « Quelle prière, Seigneur ! » A ce moment, l'autel fut comme embrasé, et Notre-Seigneur, la figure tournée vers le démon, lui répondit : « C'est le protégé de ma Mère ». C'est tout. Il y a des détails, mais je les omets.

— Lorsque Notre-Seigneur est apparu couché dans l'autel, la table d'autel avait-elle disparu ?

— La table d'autel reste. Vous vous voyez dans un seau d'eau : la matière, de même, n'a plus de résistance, qu'elle soit bois, qu'elle soit pierre. C'est une chose bien difficile à faire comprendre. La matière ne cesse pas d'être pareille, mais elle se laisse pénétrer. Quand Notre-Seigneur passe derrière l'autel, le tabernacle disparaît, le regard s'arrête sur sa personne, mais jamais la matière ne gêne. Mais je n'ai jamais vu disparaître le calice, ni la sainte hostie. »

7 novembre 2015

Un curé comme en fait plus (tellement)

Le Père Lamy qui visiblement est un saint (à cinq ans il ne dormait déjà plus...) nous parle de Satan et nous exhorte à ne surtout pas le détester. Il parle même de ses qualités en raison de la noble famille à qui il appartient originellement et des colloques qu'il entretient régulièrement avec la Mère de Dieu. 

« On m'a donné à lire Sous le soleil de Satan. On ne lutte pas avec Satan ! C'est la lutte de l'enfant d'un an et d'un jeune homme de vingt ans... et la comparaison pèche encore. C'est illusoire ! Pour Jacob, je crois que Dieu avait limité la force de l'ange à celle de la forme de l'homme qu'il avait prise. Sinon ! Sinon, d'un souffle, pas même d'un souffle ! On devrait mettre les choses au net et prévenir les gens. On lutte avec Satan par la prière ; mais la prière est la force de Dieu. Qui exauce la prière ? C'est Dieu. Lutter contre Satan ! Oui, on lutte avec des armes qui sont divines. C'est un séraphin. Il se présente devant Dieu comme il veut. Il obtient toute puissance contre le saint homme Job, dont Dieu a mesuré la vertu, à la vie près. Que faire contre les brigands rassemblés par Satan ? Ils lui

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prennent ses troupeaux. Satan suscite un vent dans le désert, qui renverse la maison où dînent ses enfants. Que faire contre la tempête soufflée par Satan ? On n'a qu'à voir Satan pour deviner toute sa puissance. De même pour les bons anges. Quand l'ange prend la forme humaine, on voit aussitôt une puissance supérieure : on est confiant, mais on sent la puissance. J'insiste sur le Soleil de Satan : c'est faux. Ils ont de l'imagination. Elle n'atteindra jamais la réalité. »

« Avant que le saint archange me prévînt, je ne me rendais pas compte de ce que je faisais en insultant Lucifer, je ne voyais pas la disproportion qu'il y a entre l'homme et l'ange. Il ne faut pas irriter même un archange mauvais. Il faut avoir le respect de l'œuvre de Dieu... (Riant.) On va à l'école tous les jours ! Il était à la sacristie et il m'embêtait. Je lui dis : « Ah ! La sale bête ! » Saint Gabriel me dit : « N'oubliez pas que c'est un archange ! Ne discutez pas. Respect à Lucifer : c'est l'archange déchu ». C'est comme un fils de famille très noble, déchu par ses vices. Il n'est pas respectable par lui-même, mais il faut respecter sa famille en lui. On respecte le chef-d'œuvre du Créateur, même détruit. C'est d'ailleurs, une meilleure méthode pour faire rentrer Satan en lui-même. Satan, comme un enfant, ramasse sur la route pierres et boue, tout ce qui lui tombe sous la main, pour nous le jeter ; mais, si on se met à lui répondre injure pour injure, c'est alors une vraie bataille de chiffonniers. Quand on respecte son caractère angélique, on le contriste bien davantage. »

« A La Courneuve, j'ai eu tellement maille à partir avec Lucifer ! Un jour, j'allumais des candélabres, des bouts d'autel ; j'avais mis dans les bobèches des petits bouts de cierges qui restaient du dimanche. Ceux-ci, que je ramassais partout dans l'église, me servaient pour une messe, quelquefois pour deux. J'avais déjà l'ornement, je n'avais plus qu'à mettre la chasuble. Voilà Satan qui se montre devant moi de l'autre côté de l'autel. Il était là pour me narguer en face, probablement. Il sait que nous ne sommes pas deux frères ! En le voyant me faire la nique, je me fâche et je lui jette à la figure : « Je ne dis pas ma messe ce matin ! » lorsque la voix grave de Notre-Seigneur, sortant du tabernacle, m'a repris par ce mot : « Célébrez ». On la reconnaît bien la voix de Notre-Seigneur. Je m'incline, naturellement, devant sa volonté. Il est parti : nous en avons eu, tous deux, pour notre argent ! »

 

« Il est assez ennuyeux quelquefois. Dans la sacristie de La Courneuve, il m'empêchait de lire mon bréviaire : il faisait le cheval, le chien, le loup, la souris. Il tapait sur les vitres. Mon sacristain me disait : « Ils casseront toutes les vitres ! » Je lui répondais : « Laissez donc les gamins jouer au ballon ! » Et un fracas ! etpan ! Le sacristain courait dehors, croyant qu'il empêcherait de taper dans les carreaux. »

 

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6 novembre 2015

Sentir Dieu après Auschwitz

Je récuse complètement l'image simpliste incrustée dans notre langage théologique qui consiste à imaginer que Dieu est présent comme un "oeil" qui surveille et voit tout de notre monde et n'intervient pas quand des êtres subissent des tortures et des avanies qu'ils n'ont pas souhaité. Les témoignages de respacés de camps montrent que la plupart des êtres sont privés de grâce et dépérissent dans des conditions insupportables et inhumaines.

Il est aberrant de supposer que "quelque part" en leur for intérieur la lumière brille alors qu'ils ne sont même pas au courant (mais le chrétien ou supposé tel le sait mieux qu'eux et est à même de leur donner cette bonne nouvelle...). Nous serions donc mieux informés qu'eux sur leur condition et donc à même de les réconforter en adoptant la célèbre devise du docteur Palngloss "tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes". 

Une telle extrapolation suppute une intériorité secrète fantasmée et une forme de "langage privé" déconnecté du public et du réel (au sens de Wittgenstein), qui repose sur une fiction et une confusion entre l'union substantielle de l'âme et de Dieu (potentielle quand l'homme est sous l'effet du péché) et l'union actuelle (qui ne se produit que par l'action de la grâce sanctifiante).  

Ce qui est vrai pour le saint ou l'être béni en passe de le devenir, la transformation effective de l'enfer en Paradis et vision de béatitude est faux pour le commun des mortels qui agonise privé de lumière. 

"Dans la baraque où j'avais échoué, le chaos s'installait et s'amplifiait de jour en jour avec l'arrivée de nouvelles vagues de prisonnières. C'était les survivantes des camps évacués au fur et à mesure de l'avance soviétique à l'Est, alliée à l'Ouest. Elles étaient dirigées, dans les pires conditions, ver Ravensbrück, situé entre les deux fronts. Ainsi, il y avait vingt-trois nationalités dans ce camp et on y entendait toutes les langues, si bien qu'il était terriblement difficile de garder un rapport quelconque avec qui que ce soit.

Le dortoir de notre baraque était déjà comble. On entassait les lits à trois étages dans la pièce qui le précédait ordinairement affectée à la distribution des rations quotidiennes, lesquelles se réduisaient au point d'accélérer la mort par inanition.

C'est dans cette sorte d'annexe que je découvre soudain mère Marie, gisant à l'étage intermédiaire, très près de celui qui m'a été affecté, au-dessus. Les lits étaient superposés sur trois étages et devaient recevoir chacun jusqu'à trois prisonnières. Ils étaient alignés les uns contre les autres. Pour en sortir, il fallait d'abord ramper jusqu'à l'un des rares passages puis, si l'on occupait le troisième étage, comme c'était mon cas, se laisser glisser jusqu'en bas, enfin, progresser de biais tant le passage était étroit, en espérant qu'on ne serait pas obligé d'enjamber des mourantes incapables de rejoindre leur paillasse et gisant à terre.

Comment décrire mon effroi lorsque je trouve mère Marie dans ce pandémonium. Au premier regard, je comprends qu'elle est entrée en agonie.

Bien que mourante, mère Marie devait aller à l'appel chaque matin, pendant deux ou trois heures, debout. Toujours couchée entre les appels, elle ne parlait plus, ou presque plus, et s'absorbait dans une méditation sans fin. Son visage était impressionnant à regarder, non pas à cause des traits ravagés – car nous étions habitués à ce spectacle – mais de l'expression concentrée qu'il reflétait d'une terrible souffrance intime. Il portait déjà les stigmates de la mort. Cependant, mère Marie ne se plaignait pas. Elle gardait les yeux clos et semblait en oraison. C'était, je crois, son Jardin des Oliviers.

C'est sur cette vision de mère Marie que je m'arrête, chers amis. Avec vous, rejoignons-la, en ce Vendredi Saint de 1945 où, d'après les témoignages, elle a été emmenée pour mourir dans la chambre à gaz. Ce destin, elle l'avait bien plus tôt mystérieusement prévu et, pour conclure, je citerai pour vous le poème où elle exprime la prémonition de son martyre :

Mon bûcher brûlera... 
sur une terre étrangère,
Des branches mortes monte une mince fumée, 
Le chant funèbre devient plus fort. 
Mais la ténèbre n'est pas mort ni vide, 
En elle se dessine la Croix. 
Ma fin, ma fin consumée.

Oui, la ténèbre n'est pas mort ni vide. Mère Marie est vivante pour l'éternité". (http://www.pagesorthodoxes.net/saints/mere-marie/mmarie-temoignages.htm)

Pour celui qui meurt phénoménalement dans l'absurdité et le "néant" (au sens sartrien), il est inutile de lui seriner que "de toutes façons Dieu est avec lui" même s'il ne le sait pas. Je trouve que c'est le comble de la muflerie et de la prétention. Parce qu'est-ce qu'un être privé de Dieu peut faire d'une telle information ? En quoi est-il aidé ? 

Il va évidemment être encore plus contrit et attristé et ressentir profondément qu'on se moque de lui, qu'on se paye sa tête et qu'au fond on ne l'aime pas alors qu'on prétend parler au nom du "Tout-miséricordieux" et du "très charitable".

Le philosophe Hans Jonas a médité sur le "concept de Dieu après Auschwitz" . Il est parvenu à des conclusions que je partage alors qu'il se dit athée, même s'il ignore une certaine tradition hébraïque et chrétienne qui a bien avant lui pensé et sondé ce mystère.

Si "Celui qui est excellemment bon" n'intervient pas en cas d'injustices et de souffrances que subissent ses enfants (alors qu'il est représenté comme un père aimant), ce n'est pas parce qu'il ne veut pas (et "respecte" la "liberté" de ses créatures comme une maman qui laisserait ses rejetons se faire écraser sous prétexte de préserver leur libre-arbitre...), mais parce qu'il ne peut pas. 

En créant l'univers et en laissant apparaître en lui des créatures et une altérité, Dieu a renoncé à sa toute-puissance non pas dans un sens métaphorique mais réel. Il n'y a pas de convertissabilité entre les attributs d'omni-science, d'omni-potence. L'univers et les créatures possèdent une autonomie du fait même qu'ils sont là, ce qui complique la donne et rend le réel complexe et insaisissable.  

"En quel sens le concept de toute-puissance se contredit-il lui-même ? Une telle toute-puissance serait une puissance qui n'est pas limitée, qui n'a pas pour limite des choses existant en dehors d'elle-même. L'existence de l'altérité serait pour elle l'anéantissement de l'absoluïté de sa puissance : « La puissance absolue, dès lors, n'a dans sa solitude aucun objet sur lequel agir ». Mais une puissance sans objet est une puissance sans pouvoir donc s'anéantirait. En ce sens la toute-puissance est un concept auto-contradictoire, dénué de sens. Avoir du pouvoir, c'est avoir du pouvoir sur quelque chose, c'est donc nécessairement ne pas être absolu (tout comme la liberté ne s'éprouve que dans la nécessité et la contrainte).

 

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Cela revient à définir le concept de puissance de manière relationnelle. C'est ce caractère relationnel qui rend impossible le concept de toute-puissance. Et si la chose sur laquelle s'exerce le pouvoir n'offre aucune résistance, ce pouvoir exercé revient aux yeux de Jonas à un non-pouvoir, à une absence de puissance. La puissance n'existe que comme puissance exercée sur une chose qui possède elle-même une puissance. Puissance signifie capacité de vaincre quelque chose. Et la simple coexistence d'une chose suffit pour qu'il y ait puissance, car Jonas défend la synonymie entre exister et résister, ce qu'on lui concédera sans difficulté. Par conséquent, pour qu'il y ait puissance, celle-ci doit être partagée (même si par exemple la puissance des créatures provient de la puissance divine) : Dieu n'est pas un être tout-puissant.

Mais se dresse également une objection théologique à l'idée de toute-puissance divine. Dieu ne peut être tout-puissant ET bon qu'à condition d'être insondable : s'il était tout-puissant, on ne pourrait maintenir sa bonté qu'en concevant Dieu comme un être au dessein incompréhensible, au dessein insondable, qui échapperait à notre compréhension, à notre entendement : « C'est seulement d'un Dieu complètement inintelligible qu'on peut dire qu'il est à la fois absolument bon et absolument tout-puissant, et que néanmoins il tolère le monde tel qu'il est ».

Autrement dit, Jonas met en avant l'impossibilité de lier ensemble simultanément trois concepts en Dieu : toute-puissancebonté suprême et compréhensibilité. Il s'agit donc de savoir quelles propriétés sont nécessairement liées au concept de Dieu. Autrement dit, de quelle propriété peut-on se passer pour poser le concept de Dieu ? Dieu est nécessairement bon. Cette propriété est inaliénable : Dieu est nécessairement un être bon, suprêmement bon. En ce qui concerne la connaissabilité de Dieu, elle est certes limitée, mais ne peut être abandonnée : le caractère totalement énigmatique de Dieu est inconciliable avec la Torah, qui insiste sur le fait qu'on peut connaître Dieu, une part de sa volonté et même de son essence (il y a eu révélation).

Le judaïsme ne peut admettre un Dieu inintelligible. Sur ce point, Jonas reste fidèle à sa tradition religieuse. Dieu est donc absolument bon et connaissable. Par conséquent il ne peut pas être tout-puissant. C'est la nécessité du point de vue judaïque de poser le concept de Dieu comme connaissable qui conduit à rejeter, sur le plan théologique tout du moins (car Jonas, en philosophe, a d'abord rejeté logiquement cette idée de toute-puissance) la toute-puissance divine. « Après Auschwitz, nous pouvons affirmer, plus résolument que jamais auparavant, qu'une divinité toute-puissante ou bien ne serait pas toute bonne, ou bien resterait entièrement incompréhensible (dans son gouvernement du monde, qui seul nous permet de la saisir). Mais si Dieu, d'une certaine manière et à un certain degré, doit être intelligible (et nous sommes obligés de nous y tenir), alors il faut que sa bonté soit compatible avec l'existence du mal, et il n'en va de la sorte que s'il n'est pas tout-puissant. C'est alors seulement que nous pouvons maintenir qu'il est compréhensible et bon, malgré le mal qu'il y a dans le monde ». (https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Concept_de_Dieu_apr%C3%A8s_Auschwitz)

 

6 novembre 2015

Les questions interdites

La lecture salvatrice de Claude Tresmontant permet de découvrir que la quasi totalité de la théologie enseignée est erronée, car encombrée d'images factices et enfantines qui interdisent de se faire une conception et une représentation claire de la vie de Jésus-Christ et de sa mission, même et surtout dans les traités catéchétiques et la "pastorale" commune. 

La conscience infantile représente et s' imagine trivialement et pieusement la "trinité" comme un conglomérat de petits bonhommes qui dansent dans le ciel et sont réunis de façon incompréhensible et mystérieuse. A partir de cette image sommaire de kermesse populaire, les traités les plus savants ont été écrit et les disputes innombrables pour "éclairer" les relations et les rôles respectifs du Père, du Fils et de l'Esprit sans rien apporter de vraiment utile à l'oraison, mais en embrouillant tout ou en simplifiant outrageusement.

Comment dès lors s'étonner que les esprits actuels rompus aux sciences positives aient tourné en dérision ce qui n'apparait plus au mieux comme des fables ou des rêveries poétiques déconnectées du réel et au pire comme des poisons distillé savamment pour émousser et endormir les consciences naïves et facile à endoctriner ? 

Le langage a cette faculté remarquable de pouvoir évoquer n'importe quoi et de faire tourner l'esprit en rond en faisant croire que les notions qu'il développent ont un référent réel. Donc on peut faire et construire de belles phrases de théologie, être habile en discours qui ont une apparente cohérence, mais sont en fait vides et creux.

De là un procès répété souvent justifié envers tout ce qui prétend à la "théologie" et à la "métaphysique" au-delà de l'expérience immédiate constatable par tous. Là comme ailleurs on a intérêt à séparer le bon grain de l'ivraie pour éviter de jeter le bébé avec l'eau du bain. Tresmontant prouve à travers son oeuvre unique et cohérente que l'usage du langage théologique doit être éclairé et informé sûrement par la Raison créatrice qui se trouve en continuité avec l'exercice de l'intelligence surnaturelle. 

Par une étude serrée et attentive à partir de l'origne hébraïque des textes et de la génétique des dogmes, il montre que la notion de "personne" est parfaitement trompeuse et fallacieuse et ne peut être attribuée en toute rigueur qu'au Fils en tant qu'il est Dieu qui a assumé la nature humaine. Assumé et non pas mêlé, alors que la traduction erronée du grec ("le Verbe s'est fait chair") répandue partout nous livre l'image trompeuse d'un Dieu qui se serait mélangé à quelque chose d'autre (la nature humaine). Il ne s'agit pas d'une simple nuance mais d'une différence fondamentale qui vient obscurcir le sens et interdit de fait une oraison fructueuse.

"Sur la question de la Trinité, il faudra s’armer de courage. J’ai ainsi dû lire deux fois le chapitre pour le comprendre. L’auteur se montre en effet brouillon et pis, cite des textes en latin qu’il ne traduit pas ! Mais avec un peu de courage, on les comprend très bien. Il sera alors démontré que Père, Fils et Saint Esprit ne sont pas des inventions chrétiennes mais des décalques de la théologie hébraïque et que ces trois essences de Dieu sont égales entre elles, ne constituent pas de personnages à part entière et que l’Esprit procède du Fils et du Père.

Je vous résume l’analyse pour plus de simplicité : Le Père, c’est Dieu et Dieu parle : la parole, c’est le Fils (prologue de l’Evangile de Jean) et la Parole agit : l’Esprit touche alors l’Homme. De fait, la parole n’est pas séparée de Dieu puisque proféré par lui ; l’Esprit n’est pas étranger à Dieu et à la Parole puisque l’Esprit est la manifestation de Dieu. De fait, l’Esprit procède de Dieu et de la Paroles : ce sont les mots dits qui germent en l’Homme.

L’Incarnation démontre que la Parole ne s’est pas mélangée à un être humain car Dieu ne se modifie pas, et il est et il restera de tout temps immuable. De fait, la Parole a assumé l’existence de l’Homme, ce qui n’est pas la même chose. Le Fils, c’est la Parole de Dieu professée dans le corps d’un homme réel.

Enfin, le pêché originel. On reste estomaqué de découvrir que l’idée que l’on se fait du pêché originel n’est pas en réalité catholique, mais protestante. L’Homme sali et souillé par la Chute qui pêche comme il respire, c’est la conception de Martin Luther et pas de Rome ! Au contraire, Rome insiste sur le fait que la Création n’est pas terminée, que la chute est certes présente mais qu’elle a permis d’enfanter l’Humanité et que le but final de la Création et de faire des Hommes de nouveaux Christ. Incroyable et surprenant chapitre qui remet en cause toutes nos idées reçues sur la question.

Enfin, Claude Tresmontant traduit le texte de la Genèse concernant la création de l’Homme et la commente. C’est incroyablement riche et passionnant. Ce théologien est en effet un spécialiste de l’Hébreu et du Grec et nous apporte énormément grâce aux étymologies proposées. Non seulement le texte en devient passionnant, mais de plus, on découvre des choses que l’on ne voyait pas : ainsi, découvre-t-on qu’il y a deux arbres nommés dans le jardin d’Eden, celui de la Vie et celui de la connaissance du Bien et du Mal. Eve cueille de l’arbre de la connaissance mais pas de l’arbre de la Vie. Etrange incertitude des mots : que signifie l’arbre de la Vie ? C’est celui-là que les Anges Keroubims défendront de leurs épées de feu et pas celui de la connaissance. Tresmontant avoue son incapacité à analyser le texte plus en profondeur. Cela reste néanmoins magistral. (commentaire client sur http://www.amazon.fr/malentendus-principaux-th%C3%A9ologie-Claude-Tresmontant/dp/2755401400)

Le Père Déodat de Bailly qui a fait renaître les études sur Duns Scot l'a montré à travers toute son oeuvre : les traits de "personnalité" ne sont imputables qu'au Jésus "terrestre" (qu'on relie à la "Trinité économique") en tant qu'il a une volonté propre et non aux autres membres de la "Trinité", ce qui précisément le fait "homme" et non un robot divin au service d'un "Père" hypothétique ayant pour frère un zombi humain agent du Néant et des forces du rien. 

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En Jésus se coordonnent à la perfection les opérations de la volonté divine et de la volonté humaine, ce qui le distingue formellement de la "trinité absolue" ou céleste qui possède elle une seule et unique opération.  

Fort de cette clarification, il est aisé de constater que les théologies hébraïques et musulmanes sont beaucoup plus proches qu'on imagine... 

 

L"'incarnation" ne signifie en aucun cas une "corporisation" quelconque (un Dieu "rétréci" aux dimensions d'un corps d'une façon incongrue comme l'image fallacieuse le suggère), mais le fait que deux natures hétérogènes sont totalement imbriquées l'une à l'autre et parfaitement unies dans un être créé sans souillure. Dans le cas du Christ, cette union existe donc "de nature", alors que pour les êtres soumis au péché elle résulte d'un accomplissement et d'un processus de purification menant à la sainteté.

"Une première constatation s'impose. Par rapport à la définition classique selon laquelle Jésus Christ unit en sa personne la nature divine et la nature humaine, Déodat évite soigneusement de convoquer les termes denaturehypostasepersonne, hérités de la conceptualisation des conciles œcuméniques de Nicée (325) et deChalcédoine (415) : non seulement ces notions philosophiques ne se trouvent pas dans l'Écriture sainte, mais, entre le néoplatonisme antique et le kantisme moderne, leur signification a profondément changé. En outre, que faut-il entendre par personne lorsque cette notion est censée garantir l'union entre deux natures ?

Deuxièmement, le Père Déodat substitue à la formule Verbe incarné, celle d'Assumptus homo (= Homme assumé par le Verbe), rejetée en son temps par saint Thomas d'Aquin. Le Franciscain renoue ainsi avec unechristologie basse, typique des Pères de l'Église d'Antioche, lesquels entendaient faire pleinement justice à l'humanité du Christ, telle qu'elle apparaît dans les évangiles synoptiques. De cette manière, l'accentuation théologique se déplace, de l'Immanence (Dieu en lui-même) vers l'Économie (Dieu tel qu'il se révèle).

Troisièmement, le rapport du Christ à Dieu est décrit comme un duel d'amour réciproque entre deux individus autonomes. Cette métaphore dynamique reprend une intuition forte de la théologie scotiste : pour Duns Scot, en effet, Dieu a créé l'univers en prévision d'un être dont l'amour serait capable de correspondre le plus hautement possible au sien. Autrement dit, l'Incarnation n'a pas pour cause première la réparation du péché originel, mais en elle s'accomplit l'intention créatrice de la Trinité, qui, s'aimant à l'intérieur d'elle-même, veut partager cet amour à l'extérieur, en suscitant un individu capable d'y répondre librement et parfaitement.

Dans ces conditions, la christologie se doit de reconnaître pleinement au Christ un Moi humain autonome et concret : l'homme Jésus ne peut être réduit à un automate, un ventriloque, un pantin de la Parole divine. C'est pourquoi le Père Déodat opère une distinction entre quelqu'un et personne : Jésus Christ est avant tout quelqu'un, ce Moi humain singulier et libre, tout comme le Verbe divin est un autre quelqu'un; cependant, en tant que personne, Jésus Christ n'est pas une autre personne que celle - complexe - que constituent, unis, le Verbe, personne divine, et l'Assumptus homo, l'homme singulier qui lui est subjoint. Comme l'écrit Bernard Forthomme,le Moi est in recto celui de l'homme singulier (quelqu'un) autonome, et in obliquo le soi de la personne5. Autrement dit, Jésus n'est pas Dieu in recto mais in obliquo; il présente une psychologie humaine; doué d'une volonté rationnelle; il est la cause de ses propres actes et non un simple instrument sous le contrôle du Verbe". (https://fr.wikipedia.org/wiki/D%C3%A9odat_de_Basly)

La Miséricorde du Père consiste alors à "prendre", "assumer" cette nature humaine qui est hétérogène à la nature divine tout en procédant. Mais pour le comprendre il faut réfléchir à l'acte même de la création. En créant l'univers et les créatures, Dieu a introduit une altérité là où il n'y avait que lui-même au départ.

Des grands kabbalistes, mystique et visionnaires chrétiens comme Jacob boehme ont interrogé et médité en substance ce profond mystère en montrant qu'il a fallu que Dieu opère une "kénose" en lui-même, qu'il se "désaisisse" en quelque sorte de sa propre essence parfaite pour permettre à l'univers et aux créatures d'apparaître. 

Cette création qu'il a permis et voulu, Dieu l'a assumée pleinement et ne l'a pas livrée à son triste sort en l'abandonnant. Il a "envoyé son Fils", c'est -à -dire qu'il a créé un être qui puisse servir d'étalon et de modèle aux autres en montrant le but de la création en sa gloire terminale, l'homme qui se divinise et qui s'intègre à sa nature divine en vue d'une nouvelle création.  

Pour comprendre l'intention finale -, l'homme divinisé pleintement intégré à sa nature-  il faut parvenir à "voir" la cause motrice : le fait même de la création à partir de "rien", de l'absolu. Ce point est soigneusement caché dans le bouddhisme qui donne paradoxalement tous les moyens "techniques" imaginables sous forme de pratiques extra-ordinaires pour "réparer" la créature une fois le "péché" commis (ce qui dérègle complètement l'organisme énergétique ou "corps subtil"), mais sans jamais poser la question de la cause et de la finalité.

Ce qui permet aux esprits forts de considérer que le bouddhisme est une simple "technique", qu'il est même athée et ignore tout de la relation personnelle entre l'Incrée et la nature créée. 

En réalité, tout cela est implicite : c'est le Maître qui dans cette tradition donne toute la Lumière informative au disciple sur cette question qui est tenue secrète et jamais révélée publiquement. Dans le Christianisme, cette question est ouvertement soulevée et assumée, mais tout le côté "pratique" de l'affaire (l'"alchime" qui permet la transmutation réelle et non métaphorique du corps subtil) est soigneusemen occultée (il n'ya donc aucune religion qui en rachète une autre !), au point qu'aujourd'hui on entend dans les prêches et les sermons que la "sainteté" consiste simplement à "faire ce que Dieu veut de nous au quotidien".

Le problème c'est que cette vision revient à vouloir la faire un avec la nécessité naturelle, sans même la distinguer de la Providence, ce qui revient asns le dire à une forme de stoïcisme qui est à mes yeux le contraire même d'une vision chrétienne assumant le fait que le bonheur ne se situe pas dans cet univers sensible mais dans le Royaume et le Règne de Dieu.

A nouveau il faut définir les termes pour savoir de quoi on parle. Les études érudites de Jean Carmignac nous montrent que le "retour de Jésus à la fin des temps" n'a rien à voir avec l'image d'un petit bonhomme qui descend du ciel pour illuminer tout le monde et ramener la paix sociale (encore une imagerie naïve incrustée dans notre langage qui a un pouvoir de séduction fou même chez des personnes cultivées et instruites), mais avec l'accomplissement intégral du Royaume (qui n'est autre extérieurement que l'Eglise et intérieurement les opérations de l'âme purifiée suivant un mode de "gouvernement" dont l'analogue humain le proche est symbolisé par la figure de la royauté), en fait quasiment indépendant de la "fin des temps" terrestre.  

Assimiler "ce qui est" avec le Royaume est contraire à la tradition : le saint est celui qui a traversé physiquement parlant la vie naturelle grâce au "feu purificateur" inséparable de sa lumière rédemptrice à travers une ascèse et une mission particulière qui lui a donné une vision privée, personnelle et efficiente de Dieu, ce qui lui permet d'accéder tour à tour aux fiancaille puis au mariage et noces spirituelles. 

Si cette purification ne s'est pas faite du vivant de la personne, elle s'opère au "purgatoire" et est atténuée grâce à l'intecession du "corps mystique des saints" qui consitute à proprement parler l'Eglise substantielle. D'où la nécessité impérative de méditer sur ce mystère du "purgatoire" pour avoir une représentation cohérente de la destinée humaine. Il existe heureusement de nombreux traités mystiques célèbres qui nous y aident.

Mais en aucun en se contentant de faire le "travail du quotidien" au sens naturel on ne peut espérer participer à la Vie divine qui a son existence indépendante de notre triste existence même si elle peut l'"assumer". Nous devons nous incorporer à un courant qui existe avant nous, avec nous et continuera après nous. On peut l'ignorer volontairement ou tenter de se frayer un accès avec une embarcation de fortune.   

Pour avoir une "vision" ou au moins un aperçu de cette "Eglise substantielle" et de cette "vie divine", il faut être connecté a minima à l'église institutionnelle ou à tout autre équivalent dans une tradition sacrée, c'est-à-dire à l'ensemble des signes et représentations sensibles (normalement plus apparent lors des sacrements) qui permettent ensuite de générer patiemment et progressivement un monde plus dense en perfection que notre monde d'apparences illusoires et contaminées.

Les deux réalités sont inter-dépendantes, tout la fameuse expression "hors de l'Eglise poit de salut". Cela ne signifie pas que l'église en tant qu'institution est infaillible (ou à l'inverse qu'elle se trompe tout le temps), mais qu'on doit partir d'une représentation sensible, de quelque chose de manifesté et de visible pour s'élever progressivement dans la connaissance des mystères. 

Tresmontant considère comme un folie de vouloir générer en soi un univers de perfection (une démarche honteuse qualifiée sans cesse de "platonicienne", de "gnostique" et de "théosophiques" par notre chercheur), car il a posé son propre dogme étroit et n'a posé qu'une seule question interdite malgré toute sa science : "on ne peut interroger et sonder les mystères même de la vie divine car création et génération pure sont deux réalités inconciliables".

Pourtant la lecture des saints et des traités de prière valides montre exactement le contraire : une oraison réussie est fondée par une imagination signifiante, éclairée par une information créatrice. Cela présuppose à la fois la réparation de la créature déchue comme la génération d'un univers nouveau qui unit la sensation purifiée et l'esprit réinformé. S'il manque un des termes, l'accès à la transformation et à la vie divine est impossible : cela revient à vouloir marcher sur l'eau avec une seule jambe. 

Vouloir réunir l'"une et l'autre est une folie de "théosophes" et de l'ennemi tout désigné : le métaphysicien allemand qui prend divers masques et figures pour travestir l'unique vérité donnée une fois pour toutes et qui surplombe le reste.

Mais notre auteur aurait du savoit que l'ennemi principal niche en chacun à travers l'étroitesse de ses conceptions limitées. Il pêche là par ignorance tombant dans la même ornière qu'il dénonce fort justement par ailleurs. Des esprits audacieux et des âmes bien bien trempées ont osé poser les "questions interdites" et ont même trouvé des réponses en recevant les "lumières intelligibles" appropriées.

Tresmontant a pris son propre cas pour la norme, sans voir que le pratiquant même modeste peut aller beaucoup plus loin et plus profondément, pousser l'enquête jusqu'à ses ultimes conséquences. Il dit lui-même que la Révélation est la communication continue et ininterrompue d'une information créatrice mais il n'applique pas intégralement sa découverte.  

Autrement il aurait perçu que création, réparation et guérison des vases et réceptacles brisés formaient une triade qui avait son pendant dans émanation, génération et procession de lumières pures et intelligibles, étant les deux aspects d'un seul et unique Vivant qui est "mort et "ressucité".   

20 juillet 2015

Co-habiter et in-habiter ou les deux raisons de l'oraison

Lorsqu'on discute avec des personnes de religion et d'ailleurs, elles vous assènent souvent des formules toutes faites extraites de leur contexte et du "lieu"où elles se comprennent dans les chemins d'oraison. Par exemple des personnes de bonne foi vous répètent que "tout est grâce" ou qu'"il suffit d'aimer" parce que Sainte Thérèse ou un autre saint l'a déclaré à un moment. Ce genre dénoncé parfaitement plat ne rend jamais compte du contexte dans lequel un tel énoncé est formulé et prononcé et a du sens.

Je veux bien croire que tout un chacun cohabite à un moment ou à un autre avec Dieu. Quant à in-habiter c'est une autre paire de manches à mon humble avis. 

Les livres sacrés sont en fait des "textes à trou" et des énigmes que la pratique seule permet de compléter et de remplir. Le sens ne s'entend qu'à mesure où l'Esprit agit en fabriquant de nouveaux "canaux de communication" et de compréhension qui n'existent pas au départ. Tant que l'esprit n'a pas agi, les énoncés sont seulement des promesses et des prémisses de sens certes poétiques, emblématiques et jolis, mais sans référent réel. 

Une petite partie seulement des énoncés spirituels est compréhensible et audible à la mesure ce qu'on a soi-même expérimenté. Petit à petit l'écheveau se dénoue et le puzzle prend forme, mais le processus est très lent et demande une patiente fermentation. Seulement la conscience mentale et représentative a le pouvoir illusionnant de nous faire prendre la carte pour le territoire, le signifiant pour le signifié, la lune et le doigt qui la désigne. 

Et si on ne dispose pas de critères suffisants pour mesurer son progrès on peut se raconter n'importe quoi et surtout diffuser aux autres toutes sortes de sornettes et d'inepties, faute d'avoir étudié de façon systématique les chemins d'oraison, à défaut de les avoir expérimenté soi-même. 

Il serait très facile de montrer l'unité de toutes les religions en examinant leurs chemins d'oraison avec précision d'un point de vue expérientiel. Nous aboutirions très vite à la concorde basée sur les faits et non sur les supputations, en prenant comme référent l'excellence et non du plus commun dénominateur. Mais comme le disait Einstein, il y a deux choses infinies dans l'univers : l'univers et la bêtise humaine.

Nous constaterions aisément que toutes les religions fournissent des moyens et des outils pour aboutir à l'union complète avec une réalité personnelle infinie et indicible que par analogie on nomme "mariage spirituel" et dont certains écrits portent le témoignage irrécusable si on les traite avec sérieux et respect, loin de la fausse érudition et des constructions théoriques sans portée pratique (comme celles de René Guénon qui n'a rien compris au christianisme et a écrit a son sujet toutes sortes d'inepties malgré une intelligence indiscutable par ailleurs et de réels dons d'observations).

Des authentiques journaux mystiques tous les fils indispensables à l'oraison peuvent être tirés. Simplement le véritable "mysticisme" est déconsidéré par "l'illuminisme" de fanatiques et d'imposteurs et  se trouve de fait complètement voilé et caché au profane. Il suffit de lire le livre de Joachim Bouflet sur "les faussaires de Dieu" pour mesurer l'ampleur de la folie et de la détresse humaine menant aux falsifications en tous genres. . 

Mais les "élites" d'aujourd'hui comme d'hier  sont elles-mêmes extrêmement limitées et choisissent la facilité en refusant de s'intéresser aux choses en profondeur et conseiller de bonnes lectures aux fidèles, sacrifiant le salut et le progrès des âmes aux intérêts particuliers de groupes d'influence. Elles offrent un statut-quo qui profite à quelques nantis sans même apporter la paix sociale basé sur un pacte tacite : ne pas briser les limites imposées sub-consciemment et les rôles qui ont été attribué à chacun sans réelle concertation.

Tout le monde est promis à la "sainteté" (ce qui est faussement rassurant) alors que les chemins qui y mènent sont coupés de fait (ce qui est beaucoup plus angoissant), tout simplement par élimination du langage qui exprime les réalités divines remplacé par une bouillie psychologisante et béatement optimiste.  

Lorsque l'union à Dieu se manifeste intégralement et se stabilise en "mariage spirituel" après une longue in-habitation de la Trinité dans l'âme, le saint "dépasse" tous les dogmes en vigueur et tous les énoncés possibles. Il passe alors la "zone du connu" et inquiète les autorités car il commence à partager la vie même de Dieu dans une quasi identité de substance et de forme. Les écrits de Marthe en portent le témoignage même si Jean Guitton nous dit dans son "portrait" qu'une grande partie dort dans les archives du vatican pour consultation en vue de procès en béatification.

La fin de son cahier montre une exaltation des visions et des grâces ainsi qu'un renouvellement complet, alors qu'elle avait déjà parcouru un chemin exemplaire. Le lecteur est saisi et frissonne devant l'amplification universelle de cet amour qui embrase de tous ses feux et tel un "rapt" vient transporter Marthe vivante et toute entière dans le ciel dès cette terre à l'issue d'une immolation totale et d'un sacrifice complet pour racheter les pécheurs. 

Une fois encore la Trinité a daigné visiter mon âme !... Mon âme est assez grande pour contenir l'infini !... Quel mystère ! Quel indicible abîme ! Il me semble voir les trois augustes personnes dans une lumière immense, unies en une seule essence : Trinité dans l'unité, unité dans la Trinité. Et comme unique est l'essence de cette Trinité, unique aussi est sa bonté, unique sa béatitude... Il est là tout entier dans le petit sanctuaire de mon coeur, où il voile sa majesté. Nous sommes seuls et mon coeur palpite continuellement à l'unisson du sien. Le Coeur de Jésus et le mien sont une même chose. Je ne passe pas une minute sans sentir sa présence, et il se manifeste toujours d'une manière plus aimable, et plus parfaite...

Près de l'immensité symbolisant l'éternité, qu'il fait bon déposer sa dépouille mortelle pour s'immerger dans la divinité comme dans un océan sans rivage. Cet abandon qui fait de la volonté divine et de la nôtre une seule et même volonté dans l'amour est le plus complet des actes de foi. Il met l'âme dans l'état de perfection, il la plonge dans un abîme de paix et de délices où elle participe à l'immuable, à la parfaite tranquillité de Dieu, toujours agissant... Non je ne m'abuse pas, le cile me montrera tout ce que j'aime, mais il ne me donnera pas plus, puisque je possède Dieu, que je vis avec lui, en lui et que, le possède tout !  (Extrait du Journal de Marthe Robin)  

Maintenant je trouverai toujours des petits plaisantins qui s'imagineront être déjà en pleine identité avec cette vie divine et "sauvés" en donnant toutes sorte de "conseils", alors qu'ils n'ont pas encore enlevé leurs chaussures pour commencer à cheminer en oraison, se privant de tout horizon, préférant co-habiter avec Dieu vu comme leur meilleur pote (titre d'un livre que j'ai lu naguère) qu'in-habiter un jour en la Trinité.  

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20 juillet 2015

Le Christ philosophe

Le Père Justin Popovitch est très sévère envers les philosophes. 

"La philosophie est un tourment bien spécifique. C'est là que la pensée vient se fracasser dans les abîmes des ténèbres et les sauvages précipices du non-être et du tout-être. C'est pourquoi les philosophes sont dans leur mouvement des gens misérables et emportés". (Père Justin Popovitch, "les voies de la connaissance de Dieu")

"Les philosophes sont, bien souvent, des gens tragiques, car leur pensée s'attaque longuement et obstinément aux mystères du cosmos, avant de retomber, telle un oiseau blessé, devant leurs derniers remparts".

Nous sommes donc bien prévenus par celui qui nous assène à longueur d'ouvrage sa "Philosophie dogmatique de la vérité" consacrant l'unique réalité et médiation du Dieu-homme défiguré par l'homme qui s'imagine et veut se faire Dieu lui-même. Pourtant, Frédéric Lenoir n'a pas peur de voir en Jésus un authentique sinon l'authentique philosophe qui doit nous servir de modèle à tous.

Donc chacun voit midi à sa porte, mais je suis plus enclin à suivre le Père Popovitch que Monsieur Lenoir et j'aime beaucoup les spéculations théosophico-chrétiennes d'un Boulgakov par exemple. En effet, Jésus constitue la "pierre d'achoppement" pour toute réflexion et toute connaissance qui veut aboutir, raison pour laquelle les premiers Pères voyaient en lui "la" vérité et l'aboutissement de toutes les questions, en dehors de "qui" on ne trouve que le néant. 

Mais il n'est pas utile de noircir ainsi le tableau même s'il est acquis que la pensée ne mène pas au bonheur. Comme le disait Marthe robin à Jean Guitton "vous êtes cloué à vos pensées tandis que je suis clouée à la croix" et on sait qui nageait dans la félicité au final.

Car chaque philosophie digne de ce nom recèle aussi en elle quelque chose de véridique et un fragment de vérité qui peut positivement se rattacher au Christ (ce qu'a mis en exergue Urs von Balthasard dans "La gloire et la croix"). Il est la "chose en soi" postulée par Kant qui marque la limite de toutes nos spéculations. Il est "ce qui se donne" antérieurement à toute essence dans la phénoménologie. Il est l'"intuition pure de la durée" découverte par Bergson. Il est le mouvement dialectique du réel mis en lumière par Hegel, la différence ontologique de Heidegger, la raison nécessaire de Spinoza, la monade intelligible de Leibniz, le "monde des idées" de Platon, la pensée de l'infini cartésienne... 

Il est simultanément toutes ces "figures" (au sens de Goethe) et aucune d'entre elles car toujours au-delà étant un être et une personne là où les conceptions les plus pures de l'intellect qui approchent le mystère sont de l'être qui s'est dégradé mais pas rien non plus,

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car tout procède du Dieu-homme.  

20 juillet 2015

L'exemple du suaire de Turin et le mystère d'iniquité

Je ne suis pas un expert en "linceul de Turin" et je trouve le "propagateur" de sa cause  Arnaud Aaron Upenski un peu exalté (ce qui peut desservir son propos), mais j'ai pu constater dans d'autres circonstances que le refus de la vérité (tant bien même toutes les preuves sont fournies et manifestes "devant les yeux") montre le vice inhérent à l'homme qui ne peut être effacé que moyennant des efforts très importants et l'intervention d'une grâce.

En découle une synthèse logique contraignante au terme de laquelle il apparaît, sans échappatoire possible, que le Linceul est, par sa nature même, sa propre démonstration d’authenticité, au troisième degré par défaut, en ce sens qu’il ne peut pas être autre chose que l’authentique linceul de Jésus Christ. (Upenski)

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Alors le pape François a-t-il vraiment "renié" -tel Pierre- le Christ comme le prétend notre accusateur en refusant de trancher de façon nette la question de l'authenticité et en engageant l'Eglise ? Je ne saurais le dire, mais il est certain que tout organisme pourrit par sa tête. Le déni de la notion de vérité au profit du probable représente le dénominateur commun d'un monde fondé sur le refus des certitudes et le nivellement.

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