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Horizons et oraison d'un lecteur
24 décembre 2015

Méditation inspirée par Duns Scot le « Docteur subtil » sur la nature de l’hypostase et « l’ens infinitum »

Introduction : pauvreté des esprits présents en regard des anciens visionnaires
G.W.F Hegel, Leçons sur l’Histoire de la Philosophie, p.1087-1089.
« Duns Scot, Doctor subtilis, un Franciscain né à Dunston dans le comté de Nothumberland, dont les auditeurs atteignirent peu à peu le nombre de trente mille. Il vint à Paris en 1304 et à Cologne en 1308, en qualité de docteur de la nouvelle université de cette ville. Il y fut reçu avec une grande solennité, mais il mourut peu de temps après son arriv

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ée d’un coup de sang ; il aurait été enterré vivant. Il n’aurait été âgé que de trente quatre-ans, selon d’autre de quarante-trois ou encore de soixante trois ; on ne connaît pas l’année de sa naissance. Il écrivit des commentaires du Magister sententiarum, qui lui firent acquérir la gloire d’un penseur très pénétrant : il procède par ordre, en commençant par démontrer la nécessité d’une révélation surnaturelle opposée à la lumière de la raison. Il ajoute à chaque sentence un grand nombre de distinctiones, de questiones, de problemata, desolutiones, d’argumenta pro et contra. Sa pénétration l’a fait nommer le Deus inter philosophos. Les louanges dont il fut l’objet sont tout à fait prodigieuses. On disait de lui : « Il a donné un tel développement à la philosophie qu’il aurait pu en être lui-même l’inventeur s’il ne l’avait pas déjà trouvé existante ; il savait tellement les mystères de la foi qu’il ne les a presque pas crus ; il savait les secrets de la Providence comme s’il les avait entièrement pénétrés, et les propriétés des anges comme s’il avait été lui-même un ange ; il écrivit tant de choses en peu d’années qu’un seul homme arriverait à peine à les lire, et qu’on trouverait difficilement quelqu’un pour les comprendre ».
Préambule
En spiritualité et dans la pratique de l’oraison il faut parvenir à concilier deux opérations propres à la « créature » et à « Dieu », dans le « domaine » rattaché traditionnellement à l’univers de l’ « être créé » (qui ne possède pas l’être par lui-même) par opposition à l’« être incréé » (qui possède l’être nécessairement par lui même du fait qu’il est l’être même non tiré d’autre chose d’un « aliud »). Dans « les métaphysiques principales », Claude Tresmontant explique très bien les relations entre la cause première absolue et l’univers relatif et contingent mais finalisé.
Dieu émane sans arrêt des qualités (désignée par l’activité infinie de son « Verbe ») que l’homme peut difficilement recevoir même s’il a été conçu à cette fin. En effet, la créature doit d’abord chercher à se « réparer » à restaurer le « réceptacle » (son corps subtil) qui a été brisé depuis la « chute » d’Adam et ne permet plus de recevoir les lumières émanées spontanément présentes pour les refléter vers autrui et la nature. La kabbale explique très bien le processus.
Il y a donc une ambivalence entre le domaine pur et parfait de l’être incréé et celui de l’être créé auquel nous appartenons de fait. Toute la question consiste à trouver une intersection, un point de jonction entre ces deux réalités hétérogènes au départ.
En effet, il y a plusieurs forces et puissances qui oeuvrent en Dieu même. La première est expansive et émane sans arrêt de la lumière, irradie des champs purs et des fontaines de félicité. Elle pose un « oui » absolu qui englobe Dieu et ses anges sans connaître l’altérité et la rencontre avec un contraire.
La seconde doit en quelque sorte poser simultanément un « oui » et un « non » pour qu’une altérité, des créatures différentes et libres ainsi qu’un univers ayant sa propre consistance surgisse de l’Etre des êtres.
Entre ces deux puissances se livre une sorte de combat et de bataille éternelle, un heurt, une étincelle, une friction d’angoisse (toute la théosophie de Jacob Boehme décrypte cette arcane). La contradiction ne se résout que dans la figure archétypale du Christ en qui les deux natures émanées et créées sont réunies pour inventer un nouveau terme inconnu, d’où le dogme de l’incarnation.
Lorsqu’elles parviennent enfin à se réunir en l’homme au terme d’une évolution, on parle d’ « union à Dieu », car les deux natures créées et émanées travaillent en synergie et deviennent conjointes comme elles le sont par nature dans la personne du Christ qui est appelé logiquement l’ « alpha et l’omega » de la nature créée.
Auparavant ces deux natures vivent chacun leur vie propre et ne communiquent pour ainsi dire pas (la première est totalement cachée c’est la vie du « deus absconditus » et la seconde est totalement obscurcie) mais grâce à la purification par le feu et la lumière (qui mène à la « sainteté ») elles deviennent coopérantes.
1/ La croix et « l’ens infinatum »
1.1/ Communauté et pauvreté de l’ens
Duns Scot montre dans le langage aujourd’hui incompréhensible de l’ancienne scolastique (les esprits modernes ont rompu avec ce genre d’expression et ne « voient » plus les êtres désignés par les termes abstraits, si bien qu’ils postulent un discours logique et métaphysique là où il y a le compte-rendu de faits matériels, vitaux, intellectuels et spirituels conformément à la méthode traditionnelle d’examen des facultés et de leurs objets) que ces deux opérations sont le propre de l’ « ens infinitatum » qui peut comporter divers degrés d’ « ens » ou d « infinitas », de la quasi absence d’ « infinitas » dans le cas de l’homme pécheur jusqu’à une saturation complète pour le Christ glorifié qui est le terme de la création et le premier voulu.
Ce terme ne peut se comprendre qu’avec son arrière plan théologique (sinon on n’en demeure au niveau des abstractions philosophiques ; on raconte alors plus ou moins n’importe quoi pour « interpréter » à la place de découvrir les référent réels du discours ce qui est normal car il faut combler le vide de sens ; or les référents du discours sont des « objets cachés » non apparents au premier abord mais en aucun cas des fictions logiques ; ils ne se dévoilent qu’au terme de l’oraison et de la méditation bien conduite qui repose sur une conception adéquate de l’Etre des êtres et de ses enfants les « étants » à la lumière de l’être qui n’existe qu’à la mesure de ce qu’il éclaire et non en soi).
Que le discours porte sur Dieu (l’objet propre de la théologie) ou sur l’esprit humain, il relate des « intentions secondes » à travers des mots et des usages car les mots n’expriment jamais directement la chose.
Mais quand il est objectif il atteint et désigne bel et bien l’objet réel des « intentions premières » visées par tout discours qui prétend à la vérité, l’être sous sa forme « minimum », dépouillé et dépourvu de tout attribut particulier commun à l’être créé comme à l’être incréé, à l’être émané spontanément comme à l’être produit : l’ « ens » .
Cet « ens » n’est pas un « néant » si proche du rien qu’on peut gloser et disserter à l’infini sur ce quelque chose qui est presque « en trop » et « en excès » et se convertit en son contraire de façon mystérieuse, mais désigne la pauvreté et la misère de notre condition humaine bien concrète et constatable au quotidien. C’est l’image et le reflet lettré de la croix. En lui même, l’homme est un désert et un néant (ce qui est le sens de « tohu-bohu » dans la Bible au moment de la création) tant qu’il n’a pas été « assumé » par la lumière de l’être. C’est un vase, (un réceptacle, une amphore romaine ou tout contentant qui demande à être rempli) en attente d’un « quelque chose » ou plutôt d’un quelqu’un.
L’homme est un être pauvre privé d’essence et caractérisé par une radicale vacuité : son « esse » comme son « exister » sont caractérisé par une pauvreté inhérente à laquelle est indexée le concept minimal d’être « ens » vidé de ces attributs.
L’élaboration logique du concept est magistralement mené par François Loiret dans son article « l’étant et l’infini » comme dans ses autres recensions magistrales du Docteur Subtil. Mais il ne donne jamais l’usage qu’on peut faire de ces conceptions fines et acérées.
1.2/ L’objet à peine caché de l’ens
Pourtant, pas besoin d’être grand clerc ni un saint pour estimer et comprendre que l’ « ens » qui n’est en lui-même ni fini ni infini (on peut lui prédiquer ces deux attributs puisque c’est le minimum commun tant à l’être créé qu’à l’être incréé ce qu’on appelle en termes savants « doctrine de l’univocité de l’être » par opposition à la doctrine de l’analogie de l’être) peut désigner à la fois la créature non régénérée par la grâce (l’homme privé de Dieu sous l’influence du péché qui existe sous un mode fini) et Dieu lui-même en tant que son essence positive est l’infinité conçue comme ce qui est toujours « plus grand, plus large, plus vaste et plus intense que » et non comme tel ou tel attribut de beauté de majesté ou d’éternité.
L « ens infinitum » désigne de fait en termes philosophiques Dieu fait homme en tant qu’il s’est fait le plus petit, le plus faible et le plus démuni en se dépouillant de tous ses attributs, tout en conservant ce qui fait son essence : son infinité (ce qu’on appelle « kénose » en jargon théologique).
C’est pourquoi l’église dit qu’il a le plus intensément souffert de toute la création et qu’en limite asymptotique à notre réflexion il a pris « tous les péchés du monde » (ce qui est rigoureusement impossible en toute logique mais concevable en tant qu’ « image qui soulève les montagnes » dans la méditation et la prière).
Donc seule la référence à l’évangile et à l’homme Jésus permet de donner un sens au discours avant d’en trouver l’application pratique dans l’oraison.
« La formation du concept d’infini comme concept propre et parfait de Dieu, concept dans lequel l’infinité est conçue comme le propre de Dieu, exige un appauvrissement du concept d’étant. Ce qui nous est donné à penser dans le concept d’étant, c’est une pauvreté initiale et non la profusion du divers. Ce concept ne peut être un concept commun à Dieu et aux créatures qu’en étant le concept le plus pauvre. L’indifférence, l’indétermination et la neutralité de ce concept en sont les marques.
Pour que le concept d’étant infini soit le concept propre de Dieu, il faut que le concept d’étant soit indifférent au fini et à l’infini, et du même coup neutre. Le concept commun d’étant, dit Duns Scot, « n’est pas de soi infini, car s’il était infini, il ne serait pas de soi commun au fini et à l’infini ; et il n’est pas de soi positivement fini, de sorte qu’il inclue de soi la finité, car dans ce cas il ne conviendrait pas à l’infini, - mais il est de soi indifférent au fini et à l’infini » (Ordinatio I d.8 p.1 q.3, p.255).
Ni infini, ni positivement fini, le concept commun d’étant est négativement fini. Cette finité du concept est indissociable de son imperfection. Le concept commun d’étant est un concept imparfait dans lequel autant l’étant fini que l’étant infini sont conçus imparfaitement. Toutefois, l’imperfection du concept n’est pas significative de l’imperfection de la chose à laquelle se rapporte ce concept. La finité négative n’est pas celle de la chose signifiée par le concept, mais celle du concept : elle est relative à l’intellect qui le forme, dans les conditions de l’état présent où il le forme.
Indéterminé, indifférent, neutre, le concept commun d’étant se présente comme un concept vide comme l’indique Honnefelder : « Der in seiner Erkennbarkeit nachgewiesene transzendentale Begriff "Seiendes" bleibt in seiner positiven Bedeutung leer. Denn alles, so zeigt die Analyse, wird als "Seiendes" erfasst, "Seiendes" selbst kann aber als ein erster schlechthin einfacher Gehalt nicht noch einmal als etwas erkannt und definiert werden » (Wie ist Metaphysik möglich ? Ansatz und Methode der Metaphysik bei Johannes Duns Scotus, in In Via Scoti, Vol. I, p.88). Dans la distinction 2, Duns Scot affirme en effet que « l’étant n’est expliqué par rien de plus connu » (Ordinatio I d.2, p.1, q.1-2, 132, T II, p.207 : « Ens per nihil notius explicatur »). Le concept d’étant peut ainsi se présenter comme le premier concept dans l’ordre de la connaissance, mais à condition d’être en même temps le concept le plus vide, le plus pauvre, ce que manifeste l’impossibilité même de sa définition.
Le concept métaphysique d’étant est, certes, un concept imparfait de la chose, néanmoins, précise Duns Scot, il est plus parfait que le concept de n’importe quelle créature « car il s’abstrait de la limitation, et ainsi il est concevable sous l’infinité » (idem 51. p.306). L’indétermination du concept d’étant est indissociable de son abstraction par laquelle toute limitation est congédiée : elle est ouverture à l’infinité. En formant le concept métaphysique univoque d’étant, Duns Scot ne s’installe pas d’emblée dans du donné, du bien connu, la profusion du fini. Nous assistons, au contraire, au congédiement du donné. Fini et infini ne sont pas posés au départ comme des points fixes mais sont engendrés. Il n’y a pas une installation préalable dans le fini, à partir de laquelle il s’agirait de gagner l’infini, il y a bien plutôt une défection du fini par constitution d’une pauvreté initiale, défection telle que l’ouverture à l’infini actuel est déjà constituée dans et par l’illimitation du concept d’étant.
Tout cela montre que l’enjeu, pour Duns Scot, n’est pas la possibilité d’une métaphysique comme science, mais celui de l’effectivité de l’infini actuel. La question qui conduit Duns Scot à la formation du concept univoque d’étant n’est pas : quelle est la condition de possibilité de la connaissance ? mais : Comment ce Dieu tout puissant, qui est surabondance d’amour, est-il pensable métaphysiquement par nous ? Or puisque l’accomplissement de la vie ne se confond pas avec le Bios theoretikos, nous voyons que la formation du concept univoque d’étant ne saurait être envisagée techniquement comme un problème épistémologique ou métaphysique.
L’indétermination de l’étant correspond à différentes possibilités d’être. Ces possibilités d’être ne sont pas des possibilités logiques, mais des possibilités réelles : l’étant peut être aussi bien infini que fini. C’est à elles que renvoient la démonstration de l’existence de Dieu dans la distinction 2 de l’Ordinatio et dans le Traité du Premier Principe. Or il n’y a de possibilité réelle que dans la mesure où l’étant, avant sa différenciation en étant fini et en étant infini, en a la capacité. L’étant dans son indifférence, son indétermination, sa neutralité est aussi bien capable de l’infini que du fini, c’est-à-dire qu’il est en fait capable de tous les degrés de perfection. L’indétermination du concept métaphysique d’étant univoque ne présuppose pas une indétermination logique, mais l’indétermination d’une capacité d’être, comme le montre la distinction 8. La créature, y écrit Duns Scot, « est composée, non d’une chose positive et d’une chose positive, mais d’une chose positive et d’une privation ; d’une certaine étantité qu’elle a, et du défaut d’un certain degré de perfection dans l’étantité, - dont elle n’est pas capable, mais dont l’étant lui-même est capable » (Ordinatio I d.8, p.1, q.2, 32, p.214).
Avec l’étant neutre, indifférent, indéterminé, il n’en va pas d’un quasi rien, d’une condition de possibilité de la métaphysique, d’un fondement, il en va d’une capacité d’être ouverte à différentes possibilités réelles d’être. La privatio qui définit l’étant fini est privatio d’une possibilité d’être, de la plus haute même. Cette privatio ne caractérise pas l’étant en tant qu’étant, mais l’étant fini. Il en va de l’étant fini comme de la taupe qui « d’après soi, n’a pas pour nature de voir, mais a pour nature de voir d’après sa nature d’animal » (idem). La taupe est aveugle en ce qu’elle n’est pas capable de cette perfection, la vue, dont l’animal est capable ; elle n’est pas capable de cette puissance qu’est la vue. De même l’étant est fini en ce qu’il n’est pas capable de la plus haute et de la plus totale perfection dont l’étant lui-même est capable. La limite de la comparaison du concept d’étant et du concept d’animal tient cependant en ce qu’elle laisserait entendre que l’étant est un genre qui se différencierait en deux espèces, l’étant infini et l’étant fini. Dans ce cas, l’étant serait une partie d’un tout dont infini ou fini serait l’autre partie. Mais l’autodifférenciation de l’étant en étant infini et en étant fini n’est pas celle d’un genre comme l’établit Duns Scot dans la distinction 8. http://www.francoisloiret.com/#!L%C3%A9tant-et-linfini/c1q8z/555ad5680cf23d0164a5cbac
2/ De l’ens à l’hypostase
L’ esprit qui médite réellement l’« ens » par lui-même vide et neutre (un « presque » ou un « quasi » rien comme nous l’avons vu) et en même temps « infinitum » engendre en lui la notion d’ « hypostase » qui désigne le passage de l’essence (virtuelle) à l’existence (concrète).
Cela passe concrètement par une méditation dans l’espace du cœur sur un être doté de qualités (possédant l’ « infini ») qui aime un autre être qui n’en a quasiment aucune (juste l’ « ens ») sans autre raison que vouloir l’aimer. On voit donc que le moteur de l’amour repose paradoxalement sur la contingence de la volonté (qu’on traduit par « gratuité ») et non sur une nécessité naturelle ou même des qualités extra-ordinaires de la personne.
« Mais si nous imaginons un dieu qui aime une pauvre petit humaine, il ne l’aimera pas spécialement pour ses qualités. Des qualités, il en a à revendre, il n’attend rien d’elle, sinon qu’elle l’aime, afin qu’il puisse déverser ses lumières en elles. Bref, de son point de vue à lui, il aime une personne réduite à sa plus simple expression, qui est d’être une personne.
Quant à elle, elle est face à un être tellement mystérieux qu’elle n’a d’autre choix que de se raccrocher à la seule chose qu’elle puisse identifier en lui, la seule chose qu’ils aient finalement en commun : le fait qu’il soit une personne. Méditer sur cette double relation trace des lignes dans le corps subtil dont on découvre que leur croisement définit un point mathématique, qui se trouve être le centre du coeur.
L’endroit où ces deux êtres peuvent s’aimer, c’est ce point, qui contient en lui toutes les potentialités. Nous ne percevons donc plus le coeur comme une noix, un petit pois ou même une graine, mais comme le point mathématique correspondant à la pure notion de personne.
C’est pour cette raison qu’il est absolument fondamental de s’adresser à un Dieu personnel à notre niveau, afin d’identifier ce point en nous, qui est le point de jonction entre l’essence et l’existence. Dit autrement, c’est le point où les souffles peuvent se résorber dans l’essence, ce qui produit la claire lumière.
Tant que nous n’avons pas identifié précisément ce qu’est une personne, nous y voyons trouble en nous-mêmes, et nous ne pouvons pas viser au bon endroit. Une fois que la visée a été précisée, nous pouvons même nous contenter de nous concentrer sur le coeur avec cette pure notion de personne, sans pensée, sans images, ce que les pères orthodoxes appellent la prière pure.
C’est en méditant sur mon roman que j’ai réalisé clairement que les personnages attendaient les uns des autres ce qu’on attend de Dieu : d’être remplis. Non par l’amour reçu, mais par l’amour donné. Ce qu’ils veulent, c’est aimer l’autre comme s’il était Dieu. Pourquoi est-ce que je dis « Dieu » ? Parce que c’est un amour qui se veut infini par nature, absolu, et dont on attend qu’il soit notre tout. C’est ce qu’on attend de Dieu. Sauf qu’on l’attend d’une créature humaine.
Mais en réalité, ce n’est pas une erreur, car ainsi que je l’ai déjà expliqué, nous ne pouvons accéder à Dieu qu’à travers notre propre structure, qui est hypostatique, à savoir que l’infini de tous les Noms divins doit pouvoir passer à travers ce point mathématique de l’hypostase (la Personne). Alors, peut-être que Dieu le Père a une hypostase, mais nous n’en savons rien. En revanche, cette hypostase, nous la percevons naturellement chez notre prochain, c’est même la première chose qui nous est donnée ». http://science-mystique.fr/wordpres...
Cette méditation peut être « verticale » (un Etre quasi absolu aimant un quasi rien) ou « horizontale » (une créature aimant une autre créature et voulant se « vider » en elle.
« On dit que dans la prière pure, il ne reste ni concept ni image. Mais il en reste un : nous prions quelqu’un, et non pas quelque chose. Autrement dit, si nous pouvons aimer notre prochain en tant que quelqu’un et parce qu’il est quelqu’un, indépendamment de tous ses attributs (ce qui n’est pas si simple, attention), nous rejoignons la prière pure. (ibid)
Par exemple, en examinant la relation d’un être très vaste avec un être ordinaire comme nous, j’ai compris ce qu’était l’hypostase. La théologie dit que c’est le point de passage entre l’essence et l’existence. Je dirais pour ma part que c’est ce sur quoi nous nous concentrons lorsque nous aimons une « personne » indépendamment de toutes ses qualités, mais uniquement en ce qui fait qu’elle est une personne. Ce n’est pas très possible dans notre existence matérielle, où nous aimons toujours les gens pour leurs caractéristiques.
Il y a donc un double entraînement, qui consiste, au cours de nos activités, à nous imaginer en présence d’une personne divine, afin de réunir tout notre être autour de ce point, ce qui restructure tout le corps subtil. Et ensuite un entraînement plus précis, qui consiste à se concentrer spécifiquement sur ce point.
Si donc on veut s’imaginer en présence de Dieu au cours de la journée, il est fondamental de le concevoir en tant que personne, les qualités sont secondes et se manifesteront en fonction des événements. Mais cette notion de personne ne doit pas être floue, elle doit être très pointue, et profonde. http://science-mystique.fr/wordpress/?p=347
Dans les deux cas ces deux amours non pas concurrentiels mais complémentaires qui s’enrichissent l’un l’autre reposent sur un acte de volonté, celui d’aimer par vertu de justice et non par une simple inclination naturelle et appétitive.
Cela peut donner une nouvelle perspective à la kénose. Sur la Croix, le Christ se donne à voir en tant que quelqu’un dépouillé de tous ses Attributs, c’est la Personne à l’état pur, celle que nous avons le plus de chances de retrouver chez notre prochain, qui en est à peu près au même degré d’impuissance.
A l’inverse, cette considération pourrait nous faire nous demander si nous avons une conception correcte de la kénose : si, lorsque nous imaginons le Christ sur la Croix, nous ne continuons pas à l’imaginer avec tous ses attributs potentiels « Là, il ne peut rien, mais potentiellement, il est tout ».
Le cerveau ne fait pas trop la différence entre le potentiel et l’actuel, en tous cas pour moi, je sais que dans ce cas précis, la potentialité remplit tout. Ce qui est une erreur je pense. Il nous faudrait réellement arriver à considérer le Christ comme dépouillé de tout, de fait, actuellement.
C’est alors, je pense que nous pourrons bien plus facilement le reconnaître dans notre prochain, en vertu de ce qu’ils ont en commun, être quelqu’un. On peut donc réinterpréter le sens de la kénose : elle nous donne à voir la porte vers Dieu, resplendissante dans sa nudité, par retrait de tous les attributs.
Dieu s’est fait « rien » afin que nous puissions percevoir le point par lequel nous serons capables d’accéder à lui. C’est uniquement lorsque nous avons identifié cette porte que nous pouvons laisser les attributs emplir à nouveau notre conception de Dieu, parce que nous ne ferons plus la confusion entre l’essentiel et l’accessoire. Il nous faut aimer Dieu d’abord parce qu’il est quelqu’un, ensuite parce qu’il est ceci ou cela ». (Daniel Christophe)
Lorsque le point d’intersection où réside « l’ens infinitatum » a été trouvé et localisé précisément dans l’espace du cœur par une méditation sur la vie de Jésus, on peut se faire une idée générique du mystère de l’ « hypostase » et méditer en engendrant des « variables d’intensité » suivant la pénétration que nous avons du sentiment d’infini.
On peut le ressentir par toutes les énergies et Noms divins de Beauté et de Majesté, mais tout particulièrement par la souffrance qui nous est la chose la plus innée, la plus partagée et la plus accessible. C’est notre « ens » commun à tous petits et grands, riches et pauvres, mariés et célibataires, intelligents ou stupides, beaux ou moches, etc…
On comprend dès lors pourquoi le « docteur subtil a renversé la priorité donnée à l’essence comme telle et non sur tel ou tel attribut car sa finalité est pratique. C’est en méditant sur les « variables d’intensité » entre « l’ens » et l’ « infinitum » que nous pouvons comprendre la logique de l’incarnation et de la rédemption : le plus petit possède la marque intensive de l’infini actuel en tant qu’il est le plus pauvre et le « presque rien » et non en tant qu’il manifeste extensivement tous les attributs de puissance.
La meilleure façon de faire l’expérience de Dieu, c’est d’entrer en contact avec l’infini. Or la seule chose qui devient facilement infinie chez l’homme pécheur, c’est la souffrance et le désespoir d’être séparé de Dieu. C’est en creusant dans le sentiment de cette séparation qu’on atteint quelque chose de vraiment intolérable, qui nous dépasse totalement, mais si on le fait avec le bon état d’esprit, c’est-à-dire par amour, on y trouve Dieu. C’est pour moi ce qu’a montré le Christ sur la Croix. Ce que son exemple ne dit pas, en revanche, c’est que pour nous, l’expérience devient simultanée, suffisamment du moins pour qu’on accepte de creuser volontairement dans l’insupportable.
On dit souvent que le Christ a pris sur lui la colère du Père, mais il est dommage que la théologie chrétienne n’explicite pas mieux la chose (si vous avez une référence cependant, je suis preneur), qui est très claire pour les soufis. Les énergies divines ou noms divins se déparent en deux grandes catégories, noms de Beauté et noms de Majesté. Les Noms de Beauté sont liés à la croissance et à l’enrichissement (printemps été) tandis que les autres sont liés à la déréliction et destruction (automne hiver) – le lien avec les saisons n’est pas chez les soufis à ma connaissance, mais il est évident qu’il y a deux grandes forces qui commandent à l’univers, création/destruction, et que ceci se trouve dans le Père.
Il y a donc chez l’homme l’alternance de ces énergies, les noms de Beauté se manifestent dans les consolations, mais on n’apprend pas grand chose en étant consolé, alors nous devons surtout expérimenter ce qui nous fera grandir, la nuit obscure, et qui nous apparaît comme une souffrance insupportable, tant que nous n’y voyons pas clairement la main de Dieu. La colère de Dieu, c’est cette face destructrice (qui doit s’appliquer au vieil homme). Mère Teresa a écrit à plusieurs reprises : »Il détruit tout en moi ». Quand elle y reconnaît enfin la main de Dieu, l’expérience change de visage, et elle ne cherche plus à y échapper.
Nous avons toutes les occasions possibles de contempler l’infini de la souffrance, et si ce n’est la nôtre (ce à quoi nous ne sommes pas toujours disposés), celle des autres fait aussi l’affaire. Il est bien dommage que la pastorale actuelle insiste surtout sur les consolations qu’on peut recevoir de Dieu, en oubliant de dire que plus on veut être consolé, plus le chemin sera long.
En jargon philosophique nous aboutissons à la conclusion du caractère contingent de la création et des actes de Dieu même s’il possède l’être nécessaire dont la liberté se reflète dans la volonté humaine seule capable de ne pas agir par simple inclination naturelle et pouvoir choisir parmi deux contraires.
« La novation scotienne n’est ni dans l’affirmation que Dieu est infini en acte, ni dans l’établissement d’un concept affirmatif de l’infini, mais dans l’affirmation que Dieu est d’abord pour nous ens infinitum plus que ens summum ou qu’actus purus. C’est pourquoi Dieu est simple et un parce qu’il est infini ». http://www.francoisloiret.com/#!Aristote-et-Duns-Scot-sur-linfini/c1q8z/557039140cf219f17725288c
« Lorsque nous disons que Dieu est infini, soutient Damascène, nous n’énonçons pas un attribut divin parmi tant d’autres, nous envisageons la nature ou l’essence divine, non en ce qu’elle est, mais en ce qu’elle n’est pas. L’infinité a donc dans le De Fide Orthodoxa un tout autre rang que la bonté, la sagesse, la justice divine, un rang plus radical puisqu’elle est une manière négative d’énoncer l’essence divine elle-même. Le discours qui dit Dieu comme infini est le plus haut discours que nous puissions tenir sur Dieu envisagé dans sa nature même ». http://www.francoisloiret.com/#!Jean-de-Damas-un-des-points-de-d%C3%A9part-de-Duns-Scot/c1q8z/555d7eda0cf21fee13a58a13
Duns Scot explique dans l’Ordinatio que seul le concept univoque d’étant permet la formation d’un concept d’étant infini dans lequel l’infinité se présente tout à fait positivement. En effet, si l’étant était conçu analogiquement, toute la positivité reviendrait à l’étant et l’infini ne serait compris que négativement. Autrement dit, s’en tenir au concept analogique d’étant, c’est soutenir que c’est comme étant que Dieu est Dieu, alors qu’emprunter la voie de l’univocité, c’est montrer que ce n’est pas comme étant, mais comme infini en acte que Dieu est Dieu. C’est pourquoi il est absurde de prétendre que l’univocité du concept d’étant amène chez Duns Scot à un égalitarisme ontologique. L’analogie n’arrache pas Dieu à l’horizon de l’étant, puisque pour elle le positif est l’étant. C’est donc l’exigence de la formation de l’infini en acte qui commande l’exigence d’univocité, et non pas le contraire. http://www.francoisloiret.com/#!Linfiniment-aimable/c1q8z/555d801a0cf2adc1ad4aa65a
Le préambule à la preuve de l’existence d’un étant infini en acte exige la preuve que le premier étant comme première cause efficiente est à penser comme volonté et intellect, étant donné que s’il est une volonté, il est aussi un intellect :
« Ayant montré l’existence des propriétés relatives du premier étant, pour montrer ensuite l’infinité de ce premier et, par conséquent l’existence de l’étant infini, je procède de cette manière : je montre d’abord que le premier efficient pense et veut » Ordinatio I d.1, p.1, q.1-2, T II, p.174.
L’infinité en acte ne peut revenir au premier efficient qu’à la condition qu’il soit une volonté. S’il est une volonté, il est aussi un intellect alors que l’inverse ne vaut pas comme le montre la philosophie d’Aristote et des aristotéliciens qui pensent le premier étant comme intellect sans le penser comme volonté.
La preuve principale du caractère volontaire de l’action du premier étant part de la contingence. S’il y a de la contingence dans le monde, et il y en a, la première cause efficiente agit de manière contingente, et si elle agit de manière contingente, elle est une volonté. Contre les nécessitaristes, ceux qui nient l’existence de la contingence dans le monde et qui soutiennent que tout y est nécessaire, Duns Scot soutient que la contingence est indéniable. Il affirme brutalement :
« Que ceux qui nient que quelque étant soit contingent, soient exposés à la torture jusqu’à ce qu’ils concèdent qu’il leur est possible de ne pas être torturé » Ordinatio I d.39, q.1-5, 35, T XVII, p.489.
Le Docteur subtil doté d’un bon sens pratique ne manquait certes pas d’humour.
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