Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Horizons et oraison d'un lecteur
10 juillet 2015

Le renoncement de Dieu

url

 Comme Hans-Urs von Balthsard l'a admirablement montré (même si sa théologie impose le respect à mes yeux elle est souvent très critiquée précisément sous cet aspect novateur, comme si voir le mouvement en Dieu même était un blasphème, alors que tout est dynamisme en dehors de l'essence immuable et immobile), pour que Dieu puisse créer quelque chose, il doit en quelque sorte se "dé-saisir" de lui-même, se départir de sa propre essence et littéralement se déchirer en lui-même.

Cette "dépossession" de soi se nomme en langage pompeux "kénose intra-trinitaire". La "trinité absolue" engendre la "trinité économique" (celle qui est visible dans le cours de l'histoire du Salut - http://www.akadem.org/medias/documents/9_kenose.pdf) et l'étude de leurs rapports représente une question épineuse pour toute théologie qui se respecte, car il s'agit de rendre compte du passage entre l'incréé et le créé, l'infini et le fini, l'être et le contingent qui sont par nature hétérogènes mais non sans rapports ni relations.

Le Père n'apparaît comme Père que par le don total de sa personne à son Fils, ce qui introduit du "discontinu" en Dieu même. Paradoxalement, le Fils fait naître le Père, sachant que ces deux qualifications sont simultanées et inter-dépendantes. 

Urs von Bathasard a retrouvé et exprimé de façon plus claire et audible la théologie de Jacob Boehme pour qui Dieu n'est vraiment Dieu qu'en tant que Personne qui surgit d'un fonds ultime et indifférencié au-delà de toutes les qualifications possibles (appelé de façon nuancée "Urgrund", "Abgrund" ou "Ungrund"). Il doit en quelque sorte se "nier" lui-même pour accéder enfin à l'être et se (re)trouver en tant que Personne avec qui il peut dialoguer dans une altérité féconde.

La divinité d'où tout sourd et surgit repose donc bien "au-delà de l'être". L'humanité réfléchissante n'a pas attendu l'académicien Jean-Luc Marion pour le savoir et penser un séduisant mais absurde "Dieu sans l'être". Car qui possède l'Etre en propre et qui est le modèle de la "Personne" est bel et bien le Fils qui "spire" dans l'Esprit avec le Père.

En effet, "Dieu" n'est pas "un" être au sens particulier ni au sens général mais bien "l'acte d'être", ce que les grands Docteurs de l'Eglise n'ont jamais manqué de signaler, contrairement à l'histoire réinventée dans les forêts germaniques pour évacuer à bon compte la notion de Dieu en lui substituant de très obscures "différences" ontologiques et "différances" sémantiques. (http://www.bertrand-renouvin.fr/la-mauvaise-foi-de-heidegger/)

Que celui donc qui désire contempler ce qui est invisible en Dieu, quant à son unité, fixe ses regards sur son être lui-même , et qu'il reconnaisse que cet être est une qualité si certaine en Dieu qu'on ne saurait le concevoir sans elle; car l'être absolu ne peut se montrer sans exclure entièrement le néant, comme le néant est entièrement l'opposé de l'être. De même donc que le néant parfait n'a rien de l'être ni de ses qualités, de même l'être n'a rien du non-être, ni dans ses actes , ni dans sa puissance, ni en réalité , ni dans notre appréciation. Le néant étant la privation de l'existence, ne peut même être compris que par l'être, tandis que l'être, pour être conçu, n'a pas besoin d'un secours étranger, car tout ce qui est connu par notre intelligence l'est ou comme n'étant pas, ou comme possible, ou comme réel.

Si donc le non-être ne peut être conçu que par l'être , et l'être possible que par l'être réel et actuel ; si le nom d'être exprime l'acte simple de l'existence, il s'ensuit que l'être est la première idée qui tombe en notre intelligence, et que cet être est celui qui a l'existence pure et actuelle. Mais cet être n'est point un être particulier, car l'être particulier est renfermé en des limites et se trouve lié à l'être possible; ce n'est point non plus un être en général , car un tel être n'a point d'existence actuelle, attendu qu'il ne saurait en avoir en aucune façon. Il faut donc que cet être soit l'Etre divin.

Reprenons et disons : l'Etre très-pur et absolu qui est l'être simplement , étant le premier et le dernier, est le principe et la fin suprême de toutes choses. Ilest éternel et très-présent : donc il embrasse et pénètre toutes les durées comme leur centre et leur circonférence. Il est très-simple et très-grand : donc il est tout entier cri toutes choses , et tout entier hors d'elles ; et ainsi il est une sphère intelligible dont le centre est partout et la circonférence nulle part. Il est très-réel et très-immuable : donc, en demeurant dans cette immutabilité, c'est lui qui donne le mouvement à tous les êtres. Il est très-parfait et immense : donc il est en toutes choses sans y être renfermé, hors de toutes choses saris en être exclu , au-dessus sans être plus élevé, au-dessous sans être plus bas. Il est souverainement un et il réunit toutes les manières d'être: donc il est tout en tous, quoique ce mot de tout embrasse une multitude de choses et que Dieu ne soit qu'un ; car, par son unité très-simple , sa vérité très-pure , sa bonté très-réelle, il y a en lui toute vertu , tout modèle et toute puissance pour se communiquer; et ainsi de lui , par lui et en lui sont toutes choses, parce qu'en lui nous avons la toute-puissance, la science parfaite, la bonté suprême; et le voir parfaitement , c'est posséder le souverain bonheur, selon cette parole adressée à Moïse : Je te montrerai tout bien.

(SAINT-BONAVENTURE, Itinéraire de l’âme à Dieu, chapitre 5, De la contemplation de l’unité divine par son nom principal, qui est l’être)

Le Père est la source unique qui "donne" son être à son Fils en se dé-saisissant par un geste certes "gratuit" et libre (ce qui fait qu'il va lui-même "souffrir" et ne pas rester impassible comme une statue face aux tribulations de son Fils et de l'humanité souffrante, cf les fortes considérations de Varillon et du Père Molinié sur la "souffrance" de Dieu -http://chemins.eklesia.fr/lecture/souffrance.php), mais en même temps nécessaire (en fait nos catégories de pensée basées sur la logique de "l'entendement" ne sont pas aptes pour rendre compte de ces "antinomies", car l'infini ne se laisse pas réduire à des concepts et à des limites formelles).

En effet, pour sortir de son indétermination et de sa totalité forclose, de sa "nuit", le futur Père doit introduire une déchirure dans son propre être, ce qui est l'acte de naissance de la "Théodramatik" comme l'a nommée à raison Urs von Balthasard. (http://www.nrt.be/docs/articles/1979/101-6/1054-La+pens%C3%A9e+de+H.U.+von+Balthasar.+Le+second+tome+de+la+%C2%ABTheodramatik%C2%BB.pdf

Une telle vision des choses apparaîtra scandaleuse dans le fond pour un théologien de facture classique comme Claude Tresmontant ou l'abbé René Laurentin. Le premier disqualifie toute recherche de "genèse en Dieu" comme superfétatoire et délirante dans sa classification intéressante mais sommaire des "métaphysiques principales" (http://menon.canalblog.com/archives/2012/03/24/23820844.html) et le second s'en tient au modèle traditionnel et orthodoxe de la Trintié comme "Principe, modèle et terme" de l'amour divin qui ne supporte pas de "déséquilibre" en son sein : les trois Personnes "gravitent" (c'est une image) éternellement et amoureusement autour du noyau central (l'essence) de façon a-temporelle en gardant chacune leurs caractéristiques propres dans une union parfaite. (http://www.amazon.fr/Trait%C3%A9-sur-Trinit%C3%A9-Ren%C3%A9-Laurentin/dp/2866793048)

Ce schéma est resplendissant sur le papier mais il ne correspond que de façon lointaine avec la vie humaine qui est par essence une tragédie si on observe les faits et l'histoire dans toute son étendue. Le miracle du Christianisme consistant à "réhausser" cette tragédie au niveau maximum en introduisant la mort de Dieu sur la croix comme levier de toute notre histoire humaine.

En "poussant" la conscience tragique au niveau et à une "puissance infinie" inégalée et inégalable, la conscience tragique ne vient pas s'abîmer et se résorber pas dans un fond obscur ou une essence impassible. Elle prend et assume une nouvelle figure qui était imprévisible au départ et permet de "dépasser" cette qualification même de "tragique",  puisque le tragique de l'entrée dans l'existence devient in fine synonyme de gloire éternelle. 

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité