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Horizons et oraison d'un lecteur
10 juillet 2015

"Sauver Dieu" : les stations de l'hérésie bien comprise

Pourquoi les humains rêvent-ils de se libérer de Dieu comme d'un poids pénible et d'une chose encombrante ou se plaisent-ils tant à le défigurer ?

Tout simplement parce qu'il est extrêmement difficile et très délicat de le concevoir adéquatement et de s'en faire une idée juste qui soit réellement transformatrice (jusque dans le physique et qui ne nous fasse pas stagner dans la "théopoésie"). 

Le songe de l'"âge de l'Esprit" consacrant une Humanité qui se libère d'elle-même et de son aliénation fondamentale repose sur une représentation symbolique efficiente et qui a une racine réelle et n'est pas le rêve fou d'une licorne à trois têtes irradiée à Fukushima, ce pour une raison bien simple : l'esprit humain n'est pas identique à l'Intelligence de Dieu même s'il en procède, sachant que rien ne se saurait se situer "en dehors" de Dieu.

Il ouvre donc certaines portes et notre coeur de pierre car il est en lui-même la "clef" du trésor. 

La forme de l'esprit humain représente une altérité par rapport à l'esprit de Dieu. En effet, tout ce qui est "créaturel" et "phénoménal" a été "engendré" et est de fait "autre" que Dieu. La création entendue correctement apporte un "plus" à Dieu qui peut exercer de fait un amour qui reste sinon "virtuel" faute de créatures à aimer.

Le monde ne fait pas juste "conforter" une perfection statique mais "apporte" quelque chose à Dieu même. L'énoncé de cette proposition est hautement paradoxale et pourrait semble blasphématoire mais son sens saute aux yeux si on réfléchit un peu et on exerce sa jugeotte.

Le "cartésien" admet que notre esprit d'apparence finie porte encore en lui la "trace" de l'infini sous la forme de l'idée de Dieu subistant qui ne peut venir que de celui qui l'y a mis. Mais le "théosophe" amoureux de la sagesse et de Dieu va plus loin. Il va chercher à remonter le cours d'eau pour découvrir en lui-même les étapes de la genèse de Dieu !

Programme qui peut paraître insensé et délirant mais il n'en est rien, car nous avons en nous, dans notre "micro-cosme" tous les vestiges et les traces du drame cosmique qui porte la naissance des êtres et de l'univers.

perebrown

Notre esprit est né d'une déchirure en Dieu même dont il s'agit de trouver l'origine première et remonter comme un jeu de piste. Il s'agit d'une investigation d'un tout autre genre que celle du bon Père Brown (http://www.amazon.fr/Les-enqu%C3%AAtes-du-P%C3%A8re-Brown/dp/2258076080) quelque soit toute l'admiration qu'on peut lui vouer.

L'esprit du plus grand débrouilleur d'énigmes au monde surdoué, du boy-scout amadoué, de la grenouille de bénitier ou du bon garçon de chapelle ne sont pas adaptés à la tache. Retrouver les signes et les vestiges sensibles et supra-sensibles de cette scission en s'élevant par degrés jusqu'au Principe et en opérant sur des réalités de plus en plus subtiles et imperceptibles aux sens et au mental suivant la méthode de la remontée vers les causes premières demande plus d'un tour dans son sac. Les anciens pratiquaient cet art à leur manière. 

« Pour Saint Anselme – comme pour St. Augustin ou St. Bonaventure – le monde et la réalité ne sont pas ce qu’ils sont pour nous. Le monde n’est pas l’ensemble des choses matérielles, n’est pas le monde physique, indépendant, existant a se et per se, régis par ses propres lois, complet et parfait en lui-même – ce monde que nous présente la science moderne. Le monde n’est pour eux qu’un vestige, qu’une image d’une réalité suprasensible et divine. Le monde porte à leurs yeux la marque non méconnaissable de son imperfection de sa dépendance, de son irréalité. Ce qui est réel, dans le sens propre du mot – c’est ce que nous ne voyons pas de nos yeux charnels, et ce n’est qu’en tant qu’il est l’image du divin que le monde sensible participe à la réalité. Il est ab alio, il est « créature » dans le double sens de ce mot qui exprime à la fois sa réalité relative et son imperfection foncière.

La terre et les cieux clament la gloire de l’Eternel, et son existence et sa présence sont tellement évidentes, sont une donnée tellement indubitable qu’il est à peine nécessaire d’en chercher encore une démonstration. Leur monde n’est pas notre monde – leur raison n’est pas la notre. Ce n’est pas la raison discursive, ce n’est pas l’intelligence en tant qu’elle s’applique à la connaissance des objets sensibles, à la connaissance de sa nature – la vraie connaissance, la seule qui les intéresse est celle du divin. La raison - c’est la raison de la connaissance intuitive et mystique ».  (Alexandre KOYRE, L’idée de Dieu dans la philosophie de Saint Anselme, Vrin, 1984, p. 7.)

L'univers et l'ensemble des créatures ne sont pas Dieu même s'ils procèdent de Dieu. Il est donc exact et licite de dire que l'intelligence de Dieu est "extérieure" à la création et à la créature. On rabâche partout que Dieu a donné une certaine liberté à la créature et qu'elle en a abusé.

Pour autant, notre esprit fini ne peut pas "sortir" par définintion de son "contenant", de l'enveloppe invisible qui n'a aucune dimension ni aucune spatialité. Voilà tout le paradoxe de la chose qu'il est quasiment impossible de se "représenter" cérébralement parlant. 

Mais le Créateur a encouru un risque certain en faisant le "pari" de la création : laisser l'oeuvre mal finir malgré tous les efforts et toute l'étendue de sa Miséricorde infinie. Le paradoxe tient donc à ce qu'il incombe à l'homme de sauver Dieu pour que Dieu puisse le sauver en épanchant son chagrin de voir sa créature se perdre. 

Cette vision qui a percuté ceux qui sont devenus témoins de la foi et martyrs au point de vouloir s'offrir en sacrifice pour le rachat de l'humanité et "accomplir" le dessein de Dieu par leur libre décision. 

Nous entrons donc de plein pied dans le domaine limite de "l'hérésie" et de ce qui est humainement exprimable. Mais pour approcher de la vérité, on approche nécessairement dans les "stations de l'hérésie" puisqu'on atteint les limites de ce qui est dicible.

Qu'est-ce que l'hérésie" au fond ? La voie de perdition de fous et d'êtres illusionnés mal intentionnés qui se leurrent ? Le nom "hérésie" désigne une vue partielle qui se prend pour le tout et l'"hérétique" le (rap)porteur de ce qui s'est "coupé" et détaché d'un tronc commun. Mais si on scie brutalement la branche pour l'arracher, on risque de perdre au passage des bourgeons. Mieux vaut enquêter que sectionner sans discernement.

L'hérésie ne signale pas uniquement le chemin de traverse de l'égaré, mais marque aussi l'horizon insurpassable de tout dogme et donc sa terreur secrète et sacrée, car elle représente la limite du dicible et la frontière cachée de l'infini.

Autrefois des grands spirituels comme Maître Eckardt ou des amantes de Jésus comme Marie d'Agreda ont eu maille à partir avec les autorités de leur époque, tant ils étaient arrivé à l'issue de leur contemplation à des sommets d'infinité qu'ils ne pouvaient que traduire maladroitement par des expressions paradoxales et apparemment "hérétiques" qui peuvent se résumer en une unique proposition trine. 

-Dieu est Dieu au sens personnel que s'il trouve une altérité dans laquelle aimer. Paradoxalement c'est l'homme qui engendre Dieu du point de vue de l'esprit fini qui est le notre (proposition qui devient chez les athées : les hommes ont "transféré" et "projeté" sur un Dieu imaginaire leurs propres qualités) et non Dieu qui crée l'homme. 

-Dieu "meurt" d'amour si l'homme ne prie pas pour lui constemment. En effet il demeure éternellement caché et "obscur" s'il n'y a pas des âmes qui entrent consciemment en relation avec lui. Ces "âmes" sont les pôles et les "piliers" invisibles de l'univers, seules garantes de son équilibre qui n'est pas juste matériel. Le soutien de l'univers est donc assuré par l'homme orant qui se lie à Dieu. 

-Dieu s'est damné en prenant le "risque" de la création et en livrant son Fils, dans la mesure où il "savait" de toute éternité qu'il allait recueillir en échange de ce don principalement de l'ingratitude et de la haine. Il ne peut être "sauvé" que par l'association fraternelle des hommes qui prennent conscience du drame que Dieu vit lui-même et sont touchés par cette souffrance au plus profond de leur chair au point de vouloir donner leur propre vie par amour. Leur assemblée forme la communion des saints.  

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