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Horizons et oraison d'un lecteur
20 juillet 2015

Les sigles de la vie mystique

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Ce qui "signale" l'existence d'une vie mystique intense et réelle à autrui tient et repose sur la "trace" laissée dans les "journaux" et les "dialogues" intimes. Ce genre et ce style d'écriture se reconnaît à une "signalétique" particulière, à une "odeur" et un "parfum" caractéristiques à nul autre pareils.

Le lecteur découvre que l'auteur s'adresse à une personne réelle et qu'il donne toujours de nouveaux détails et précisions dans ses compte-rendus, faite de "chair et d'os" spirituelle, certes invisible, mais qui représente "la chose même" et la substance de sa vie, alors que les écritures factices pleines de "mensonge romanesque" laissent une pénible impression d'artificialité et d'irréalité dans l'esprit.

Le modèle est porté par les "confessions" de Saint-Augustin à la fois recueil de mémoires, réflexion philosophique et surtout apostrophe directe au créateur et culmine dans les journaux de Marthe Robin et de tant d'autres comme "Lui et moi" de Gabrièle Bossis. Le style rompt avec les genres en vigueur dans l'antiquité et représente une véritable nouveauté.

S'il existe mille et une façons d'exprimer et de rendre en miroir des images et des sigles de la vie mystique suivant la personnalité propre du saint qui s'exprime parfois à contrecoeur (comme en témoigne l'abondance des journaux mystiques consultables, le saint qui "lit" directement la personne du Christ à livre ouvert ressent comme une "chute" la médiation de l'écrit qui s'impose pourtant par le souci d'édifier le prochain), il demeure une constante : le lecteur émerveillé ressent la présence visible et presque palpable du destinataire ainsi que son empathie pour l'humanité, en dehors de tout artifice littéraire, de rhétorique, de "poétique" déconnectée du réel, ce qui peut le transformer en retour ou au moins l'inspirer momentanément.

Un obstacle épistémique de taille compromet l'accès à ce genre de témoignage délaissé le plus souvent au profit d'études plus ou moins théologiques et intellectuelles, alors que le chemin du salut s'y trouve si on sait tirer les fils de sens convenablement: l'impossibilité de croire à la réalité de l'interlocuteur ravalé au terme de symbole et de "fiction narrative". (comme Kristeva "lit" Thérèse d'Avila en la "réduisant", en faisant glisser l'infini dans un vêtement de finitude). 

Le "corps sémantique" de l'écriture se réduit dès lors à une peau de chagrin "symbolique" et voué à demeurer une éternelle forme d'illusion d'optique toujours soupçonnable d'être un montage relevant d'un artifice romanesque: l'écriture elle-même devient chantage, les lettres qui la composent une danse illusoire, le messager un affabulateur, le message un mensonge et son destinataire un fantôme.

La dénonciation du mythe du "langage privé" ramène tout propos d'infinitude intériorisée au champ public du banal et de l'ordinaire ou à l'impossible (en tous cas le situe en dehors de tout champ d'expression sensé et audible), faute de pouvoir concevoir une véritable altérité dans le dialogue, au sein même du coeur parlant, vivant et audiant.

Mais si le lecteur de bonne foi devient capable de "retourner" la perspective et considérer qu'une "personne" (quoi que difficilement définissable avec nos concepts) réelle et vivante "agit" antérieurement au sens manifesté au sein même du texte et des lettres qui le composent (mais cela suppose une forme d'"illumination" ou tout au moins d'intuition très claire), alors le doute porté sur le dialogue soupçonnée d'être un monologue déguisé -si ce n'est une affabulation- s'efface comme par enchantement, pour laisser place à la vérité : un être "in-habite" en un autre dans la "chambre nuptiale du coeur" et nous donne son irrécusable témoignage par la grâce que véhiculent les lettres et les mots.

Dès lors les apories purificatrices portant sur la nature paradoxale et impossible sur le "langage privé" perdent leur objet. Le langage porté par un "verbe" retrouve sa fonction première d'être le médiateur et le révélateur d'une "Personne" et non un simple ensemble conventionnel de signes morts et sans souffle, porteur de mensonges et d'ambiguités.

Le mari d'Elisabeth Lesueur a été converti après la mort de son épouse en découvrant et en lisant son journal intime posthume, alors qu'il était un athée convaincu lors de son vivant et lui menait la vie dure. L'ensemble de son existence s'en est trouvée éclairée sous un nouveau jour.  

 

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