Vers l'âge de l'Esprit ?

J'ai acheté un ouvrage majestueux du cardinal Henri de Lubac qui s'intitule doctement "la postérité spirituelle de Joachim de Flore" en espérant trouver des petites perles et des références d'auteurs improbables mais originaux comme je les aime. (http://www.editionsducerf.fr/librairie/livre/4239/la-posterite-spirituelle-de-joachim-de-flore.) L'auteur est éminent et possède a son actif une oeuvre impressionnante. Son confrère le cardinal Uhr von Balthasard confie qu'il a donné la peu avant sa mort un merveilleux cadeau et une "ultime floraison". 

Malheureusement, je trouve le contenu un peu insipide : le poids du volume est à la mesure du propos quelque peu indigeste même si l'érudition est sûre et certaine. (http://www.jesuites.com/2015/01/cardinal-henri-de-lubac-la-posterite-spirituelle-de-joachim-de-flore/) En effet, l'auteur sans le dire ouvertement mais le ton le laisse pressentir, méprise souverainement ceux qu'il nomme les "continuateurs" et la "postérité" de Joachim de Flore (qu'ils en soient conscients ou à leur insu et leur corps défendant, puisque le cardinal fourre un peu tout le monde dans le même panier pour traquer l'hérésie tout en adoptant un ton apparemment neutre), le célèbre et méconnu abbé à l'oeuvre controversée, qui a prophétisé l'avènement d'un "troisième âge", celui de l'Esprit qui doit succéder à celui du "Père" (relié à l'Ancien Testament") et à celui du "Fils" (dont la mission historique a été révélée par la Passion). (https://fr.wikipedia.org/wiki/Joachim_de_Flore)

"S’il existe l’unité des intelligences, c’est le schéma le plus fondamental et le plus usuel dans sa Concordance : celui des quatre intelligences de base : historique, morale, allégorique et typique. Il n’y a point de rapport formel entre elles. L’intelligence typique est d’une autre nature que l’histoire, la morale et l’allégorie. Elle n’est point une intelligence spirituelle. Elle ne nous fait pas passer « du visible à l’invisible », comme faisaient chacune à sa manière les autres intelligences. Mais elle nous maintient dans les faits, dans l’abstraction. Chez Joachim, il y a une distinction nette entre les intelligences.

Si nous comparons Joachim avec ses prédécesseurs, il n’y a pas un contraste très fort. Joachim partage en effet la doctrine traditionnelle sur l’intelligence spirituelle de l’Ancien Testament et du Nouveau Testament. Mais il en tire une méthode d’argumentation à partir de ses vues propres sur l’Église et sur l’histoire. L’originalité de Joachim se trouve, d’après Lubac et Tondelli, dans le concept fondamental de la concorde : « pour devenir ce champ de concordance, le champ de l’intelligence spirituelle a dû être non seulement étendu, mais transformé ». http://theses.univ-lyon2.fr/documents/getpart.php?id=lyon2.2008.lee_h&part=150037

Cet âge est censé être l'avènement de l'"intelligence" correspondant à une transformation réelle des rapports entre les êtres dans le sens de l'amour. Il devra amener le bonheur sur la terre. On peut rétorquer à cette conception utopie grandiose (car Joachim a traduit cette vision après une  "illumination"; il ne l'a pas "déduite" suite à des observations empiriques ni construite mentalement en méditant le texte sacré) de confondre allégrement le terrestre et le céleste, le naturel et le sur-naturel, la grâce et l'ordre humain, ouvrant ainsi grand la porte à toutes les utopies et les totalitarismes qui prétendront pouvoir se passer de Dieu ultérieurement tout en plongeant l'humanité dans des affres sans nom. 

Mais cette idée, ce "cliché", ce "mytho-théologème" a la peau dure. Il semble rebelle a la contradiction et renaître toujours de ses cendre  (car une bonne partie de l'humanité a l'intuition qu'il existe quelque chose de spécifiquement humain dans l'homme qui ne se ramène ni à Dieu ni au Christ ni au néant) sous des nouvelles formes dans le champ social. Si l'eschatologie tirée de Marx a pu donner une telle lueur d'espoir, cela signifie qu'il y a quelque chose derrière cette image qui va bien au-delà d' une simple rêverie de visionnaire en chambre.  

L'âge de l'Esprit désigne la possibilité réelle de l'accomplissement de la nature divino-humaine sur la terre et non la négation d'un terme par un autre, ce que Sri Aurobindo avait annoncé en son temps sous la conception de la descente du "supramental". Est-ce à dire qu'il s'accomplira nécessairement ? Pour l'instant nous voyons exactement le contraire à l'oeuvre : destruction de la terre et rétrécissement des intelligences ! Par ailleurs, chaque religion laisse finalement la terre à une triste destinée, en prévoyant in fine sa destruction (peut-être inéluctable) tout en tirant la couverture du côté de "son" Sauveur qui va attirer les âmes dans son paradis.